Parmi les milliers d'articles de presse écrits sur les événements en Catalogne ces dernières semaines, on ne peut pas ne pas avoir remarqué l'analyse clairvoyante du professeur de Droit de l'université de Pau-Bayonne, Jean-Pierre Massias. Dans la guerre des mots entre le chef du gouvernement espagnol Mariano Rajoy et le président de la Catalogne Carles Puigdemont, chacun invoque le droit et la démocratie. Mais qu'en est-il vraiment ?
Dans une interview à contre-courant et non censurée par la rédaction, accordée à la chaîne de télévision LCI, il remet les choses en place. Nous assistons à une révolution en Catalogne et la révolution n'a rien à voir avec le droit constitutionnel sinon la Révolution française n'aurait jamais eu lieu explique le prof auteur de plusieurs livres sur les droits constitutionnels en Europe. Il y a très peu de constitutions dans le monde qui autorisent la sécession, ajoute Jean-Pierre Massias en n'en citant que deux seules, celles de l'Ouzbékistan et de l’Éthiopie auxquelles on pourrait ajouter la flexibilité juridique du Canada et de la Grande-Bretagne qui, au moins, autorisent les référendums sur la question. "Dans le cas du Québec et de l’Écosse, la séparation n’était pas juridiquement possible, mais le Canada et le Royaume-Uni ont accepté de mettre en place une procédure de séparation. Le droit ne les a pas empêchés de faire un référendum." explique Massias.
Jean-Pierre Massias affirme que la question de l'indépendance n'est pas du tout juridique mais politique, et doit être traitée d'une façon politique. Imposer le droit du plus fort ne peut qu'entraîner la violence car les minorités nationales sont par définition des minorités juridiques avant d'être aussi des minorités politiques. Répondant à la question "un Etat qui refuse une indépendance légitime, est-il démocratique ?" Massias développe ce qu'avait dit Albert Camus "la démocratie n'est pas la loi de la majorité mais le respect de la minorité" . Tant qu'on ne change par les constitutions espagnoles et françaises ces questions seront toujours causes de conflits. Pour la France on ne peut que citer la guerre d'Algérie qui a fait 280 000 morts, 280 000 morts pour rien--qui auraient tout simplement pu être évités par une seule petite ligne dans la constitution ou la simple suppression de la clause d'indivisiblité.
La clause d'indivisibilité s'applique à l'unicité de l'organisation de la République mais aussi à l'indivisibilité du territoire (voir le site) Cette clause a été invoquée par le Conseil constitutionnel pour rejeter la Charte des langues régionales et la notion de "peuple corse". On se demande quelle sera la réaction du Conseil constitutionnel quand la Nouvelle Calédonie déclarera son indépendance suite au référendum qui aura lieu en 2018.
Philippe Argouarch