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Le Pont-Aven à Roscoff
Le Pont-Aven à Roscoff
- Chronique -
40 ans de car-ferrys en Bretagne
Longtemps, la politique des autorités des transports maritimes françaises a privé la Bretagne de liaisons maritimes modernes, un comble pour un pays bordé par la mer. En janvier 1973, dans l'incrédulité générale, une coopérative de producteurs agricoles affrète un cargo roulier, le Kerisnel, pour exporter par camion, depuis Roscoff, vers une Grande-Bretagne, distante seulement de 200 kilomètres, et qui ne demandait qu'à importer des légumes de qualité.
Par Christian Rogel pour ABP le 2/10/13 18:36

Longtemps, la politique des autorités des transports maritimes françaises a privé la Bretagne de liaisons maritimes modernes, un comble pour un pays bordé par la mer.

En janvier 1973, dans l'incrédulité générale, une coopérative de producteurs agricoles, la SICA de Saint-Pol-de-Léon, affrète un cargo roulier, le Kerisnel, pour exporter par camion, depuis Roscoff, vers une Grande-Bretagne, distante seulement de 200 kilomètres, et qui ne demandait qu'à acheter des légumes de qualité. La construction d'un port à Roscoff a été un des succès du «Comité de liaison des intérêts bretons» (CELIB) dans les années 60. L'année précédente, sous l'impulsion d'Alexis Gourvennec, avait été créée la compagnie maritime Bretagne-Angleterre-Irlande (BAI), qui, utilisera, à partir de 1978, le nom commercial de Brittany Ferries. Dès 1974, des passagers et des voitures accompagnent les camions de Roscoff à Plymouth.

Fortement soutenue par les Régions et les conseils généraux de Bretagne et de Normandie qui financent les bateaux, la compagnie bretonne qui rattache ses neuf navires au pavillon français, mais exploite aussi une filiale de droit anglais (Brittany Ferries Ltd), assure, aujourd'hui, la plus grande partie du trafic trans-manche par ferry, si l'on excepte la liaison historique majeure Calais-Douvres. Elle a fait construire plusieurs car-ferrys, dont certains, comme Le Pont-Aven (185 mètres de long, 2 400 passagers) rivalisent avec ceux de la Mer Baltique, qui sont les plus grands du monde.

Les deux batailles pour la destination Irlande

Dans les années 1980, la compagnie irlandaise «Irish Ferries» voulut exploiter les liaisons avec son pays depuis Roscoff, marchant ainsi sur les plate-bandes de Brittany Ferries qui avait créé une liaison Roscoff-Cork. Non seulement, «Irish Ferries» fut empêchée, de force, par des manifestations, d'accéder au port de Roscoff, mais, elle n'eut pas meilleur accueil quand elle voulut utiliser, en 1997, une passerelle d'accès pour les camions prévue pour le port de Brest. La classe politique finistérienne s'échauffa et l'affrontement région de Morlaix contre région de Brest fut pacifié par le député de la région centrale, Jean-Yves Cozan, lors d'une séance du Conseil général du Finistère. Il fit approuver que la passerelle serait financée par le Conseil général à condition qu'elle ne serve à aucun trafic passager. Ce qui est toujours le cas.

En 1975, les agriculteurs bretons avaient déjà bloqué le port de Saint-Malo, pour empêcher un armateur allemand de concurrencer «leur» compagnie qui projetait de desservir l'Angleterre depuis la cité malouine. Finalement, sous la pression de la législation européenne qui proscrit ce protectionnisme, «Irish Ferries» put mettre un pied en Bretagne.

Le car-ferry, Oscar Wilde (1 458 passagers), mis en service en 2008, est un des plus beaux navires de son genre. Partant de Rosslare, il touche alternativement Cherbourg et Roscoff pour des traversées de 24 et de 21 heures. Il comporte des cabines classées de 2 à 5 étoiles avec salon séparé pour les hautes catégories. Les cabines de catégorie 2 étoiles sont plutôt petites. Les salles de restauration sont vastes (deux restaurants, dont un de niveau supérieur) et le grand bar côté proue est ouvert tard la nuit. Le personnel hôtelier n'est pas majoritairement irlandais ou britannique et, encore moins, francophone.

La liaison Roscoff-Plymouth

La ligne Roscoff-Plymouth est la plus vieille ligne de car-ferry de Bretagne et joue un rôle économique et même social très important. Elle a permis l'exportation de nombreux produits bretons vers la Grande-Bretagne et probablement permis aux produits britanniques d'atteindre facilement le Sud-Ouest de l'Europe. Elle a aussi créé un flux de citoyens britanniques vers la Bretagne, et, si, les continentaux sont moins nombreux, elle a facilité un nombre extraordinaire de jumelages entre communes bretonnes et communes d'Irlande, du Pays de Galles et d'Écosse.

Les 6 heures de voyage en mer n'ont pas rebuté de nombreux enseignants qui ont emmené leurs élèves voir l'autre côté de la mer.

La liaison Roscoff-Plymouth, qui est quotidienne en saison touristique, est bi-hebdomadaire pendant l'hiver. Le bateau, qui assure, en ce moment, la liaison est «L'Armorique», mis en service en 2009. Son décor intérieur est très soigné, comme c'est une tradition depuis le lancement du «Bretagne» en 1989. Les cabines doubles sont sobres et équipées d'une cabine de douche correcte (73 ¤ en moyenne saison). Le personnel est très bien formé.

Quatre États, six Régions, dix ports

Cependant, Saint-Malo, un lieu touristique réputé, est devenu le deuxième port breton de la Brittany Ferries, car la destination de Portsmouth permet d'atteindre facilement le Sud de la Grande-Bretagne par route et par fer, Londres n'étant qu'à 120 km. En 1986 a été ouverte la liaison phare, Caen-Ouistreham, qui approche un million de passagers. Entre temps, Cherbourg-Poole a été reprise comme ligne de fret réservée aux camions. Poussant plus à l'Est, une liaison Le Havre-Portsmouth a été lancée, le 5 mai 2013, sur un navire rapide, Le Normandie Express (traversée en 3 heures 45).

L'année 2011-2012 a été mauvaise pour Brittany Ferries qui a connu une grève, suivi d'un lock-out (septembre 2012) et qui porte le poids d'une dette de 70 millions d'euros.

L'année 2012-2013 marque un redressement fragile avec un trafic passagers accru de 9% (2,5 millions) et une petite baisse du nombre de camions transportés. Les deux défis que doit relever Brittany Ferries sont d'augmenter sa part du trafic trans-manche, dans lequel sévit une guerre des prix et de développer son marché vers l'Espagne qui est redevenue une destination touristique majeure.

L'autoroute de la mer vers l'Espagne

Le label «autoroute de la mer» est donné, dans un plan d'investissement européen, aux liaisons Bretagne-Espagne depuis Saint-Nazaire-Montoir-de-Bretagne, mais, Brittany Ferries rétorque, à juste titre, qu'elle propose déjà plusieurs autoroutes de la mer. A sa liaison ancienne Roscoff-Plymouth-Santander (Cantabrie), créée en 1989, elle a ajouté, fin 2010, Portsmouth-Bilbao (Pays basques/Hegoalde) et Roscoff-Bilbao, assuré par Le Cap Finistère (204 mètres, 1 500 passagers).

Une tentative pour établir une ligne Lorient-Vigo (les deux villes sont jumelées) pour Peugeot-Citroën qui a des usines à Rennes et à Vigo avait tourné court. Avec l'aide du programme Marco Polo de l'Europe et des 30 millions d'euros apportés par la France et l'Espagne, c'est Montoir-de-Bretagne qui a été choisi, en 2009, pour créer deux lignes, l'une vers Vigo, mais ne servant qu'au transport de remorques de camions sans chauffeurs et utilisée par Peugeot-Citroën et l'autre qui a pour destination Gijón (Asturies) et qui est ouverte aux passagers et leurs véhicules et aux camions avec chauffeurs. Les aides européennes sont indexées sur la part de transports de marchandises et diminueraient si le chiffre d'affaires hors fret devenait majoritaire.

Opéré par LD Lines (Groupe Louis-Dreyfus Armateur), le car-ferry Norman Asturias qui fait la liaison, 3 fois par semaine, avec les Asturies, est de taille modeste (618 passagers, 120 camions, 195 voitures). Les berlines sont transportées sur le pont supérieur en forme de patio, à l'air libre. Pour accéder à la gare maritime, séparée de Saint-Nazaire par un canal, il faut prendre la route du «terminal sablier» qui serpente dans une zone vague, à l'ombre du pont suspendu. Les tarifs des cabines semblent élevés en haute saison, bien que peu de camions embarquent en août, congés d'été obligent.

Quel avenir pour les car-ferrys de Bretagne?

Les prestations des car-ferrys partant de Bretagne sont d'un très bon niveau et l'importance économique de ces transports est indiscutable. Ils remplissent une mission importante : limiter le nombre de camions sur les routes et les lignes vers l'Espagne semblent commencer à la remplir.

Cependant, on n'a pas réussi à créer une véritable autoroute de la mer qui suppose des départs quotidiens et donc un second navire.

L'un des points forts de Brittany Ferries est d'avoir tissé un réseau avec les B&B et les hôtels pour coupler le transport et l'hébergement. Les car-ferrys sont devenus des lieux de divertissement (cinémas, machines à sous, salles de jeux d'arcade, boutiques, bars et restaurants, ponts pour la détente), si bien qu'ils se transforment parfois en navires de croisière dans lequel le service hôtelier devient capital. La gestion nécessite un réglage fin du «yield management» qui fait varier les tarifs selon la date des demandes, les tarifs les les moins chers étant obtenus 30 ou 40 jours avant le départ.

Dans un cadre concurrentiel éprouvant, il faut compter avec le low cost aérien et les TGV qui amènent au tunnel sous la Manche. L'achat de navires plus rapides peut être une des réponses, mais, le prix du pétrole reste un problème permanent. Les résultats de Brittany Ferries en 2011-2012 sont un avertissement, car s'enferrer dans la défense du pavillon français, est lui mettre des boulets aux pieds, vis-à-vis de ses concurrents directs qui embauchent des Polonais et autres Philippins.

Il faudra du courage politique de la part de l'État, des Régions et des conseils généraux, dont l'argent est en jeu, malgré l'opposition prévisible de certains syndicats. Celle des dockers a bien été surmontée. Si un naufrage analogue à celui de SeaFrance survenait, les responsabilités politiques et syndicales seraient faciles à trouver. 2 500 emplois directs et 4 200 emplois indirects sont en balance ( ( voir notre article )).

Notes :

Roulier est l'adjectif qui correspond à l'anglais roll-on-roll-off (dit aussi ro-ro, on parle parfois de passerelle ou de transport ro-ro).

Un ferry qui embarque des passagers et des véhicules est appelé ro-pax dans le jargon professionnel .

Pour la première année d'exploitation 2010-2011 de la ligne Montoir-de-Bretagne - Gijón, 24 705 véhicules ont été transportés et un navire avec plus de cabines pour les chauffeurs a du être mis en service.

Christian Rogel

Voir aussi :
Cet article a fait l'objet de 1596 lectures.
Christian Rogel est spécialiste du livre, de la documentation et de la culture bretonne.
[ Voir tous les articles de de Christian Rogel]
Vos 6 commentaires
fanny chauffin Le Dimanche 20 octobre 2013 11:58
ferries ?
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Christian Rogel Le Dimanche 20 octobre 2013 15:46
à Fanny Chauffin
La règle bien connue est que le pluriel français doit être appliquée aux mots d'origine étrangère. Elle peut avoir des exceptions.
La meilleure connaissance de l'anglais et la notoriété de Brittany Ferries vont en sens contraire.
Après vérification sur le Wikipédia et sur un site du gouvernement anglais , j'ai appliqué la règle la plus courante.
Cependant le Wiktionnaire dit que car-ferries est la forme traditionnelle et car-ferrys, la forme officielle depuis la réformette orthographique de 1990.
C'est mieux d'avoir une tolérance, car, la fixité paranoïaque de l'orthographe française donne des inquiétudes sur sa santé à long terme.
(0) 
Caroline Le Douarin Le Dimanche 20 octobre 2013 16:39
Une cabine de jour
Il est peut-être bon de signaler ici que sur Brittany Ferries, lors d’une traversée partant tôt le matin de Roscoff, les passagers (supposés s’être levés très tôt et avoir roulé de nuit) ont (ou avaient ?) la possibilité de se reposer dans une cabine sans supplément de prix. Ceci était inscrit en tout petit sur mon billet en... 1998. Je ne me souviens plus des modalités.
(0) 
Caroline Le Douarin Le Dimanche 20 octobre 2013 17:37
Ferries ou ferrys ?
Ferries bien évidemment
Verriez-vous d'un bon oeil écrit "des fest nozs" ?
Les Bretons préfèrent festoù noz, comprenne qui pourra, tant pis.
C'est comme la manie française de franciser le nom de toutes les villes que l'on peut, détestable.
Londres pour London pour la plus connue.
Remarquable aussi le Édimbourg avec la règle française imposée du M devant un B, incongru ici. Car en anglais c’est Edinburgh, le “din” venant du Dùn toponyme celtique, de Dùn Èideann, son nom en gaélique d’Écosse. Dùn signifie un lieu en hauteur donc par extension un fort, souvent construit dessus. On le retrouve dans Dún Laoghaire, ville d’Irlande proche de Dublin.
Il est dommage que le Nürnberg allemand soit devenu Nuremberg tant en anglais qu’en français...
Par contre Gutenberg, lui, a échappé à la francisation...
Ceci pour dire « respectons les mots étrangers le plus possible ». C’est à cela aussi qu’aurait dû servir la “réformette”, mais en France... !
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Christian Rogel Le Dimanche 20 octobre 2013 18:29
Les noms des lieux fréquentés massivement par les Bretons ont souvent un nom en breton ancien et systématiquement utilisé dans la littérature bretonne. Naplez, Lisbon, Londrez, Dunedin, Dulenn (Dublin, Gailiv (Galway), Nazarez, Turgn (Tours), An Havr Nevez (Le Havre), Ijsel (Lille), Bourdel (Bordeaux), Marsilha (Marseille), Pariz, etc. Et, Kergustentin pour Istamboul (Istanbul). De même, les noms des Etats ou des fractions d'Etat sont traduits ou adaptés : Ginea ar C'heheder (Guinée équatoriale), Gwiana c'hall (Guyane française), An Douar Nevez (cf. An Tri Martolod), Gwernenez.
On peut tenir à ses traditions, tant qu'il ne pas démontré le bénéfice de faire autrement. "Ferrys" en est une application non obligatoire.
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anonyme anonyme Le Mercredi 17 septembre 2014 18:20
Et maintenant , hélas il n'y a plus de correspondance Bretagne retour de Bilbao ou Santander ou Gijon (LDL démissionne) en Novembre qui est un mois ou l'on n'aime pas trop être sur la route et ces ferries sont "safe" par rapport àla route qui va être engorgée. On marche sur la tête avec ces suppressions dues àl'Europe????
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