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Les Bretons ont-ils de l'humour ? Suite du journal de campagne de Jean-Charles Perazzi
En ce temps-là dans le village, on veillait les morts sans discontinuer, de jour et de nuit. Si d'aventure le défunt était âgé et avait bien vécu, on n'hésitait pas à aller chercher Per paotr ar Vapeur, même s'il n'avait aucun lien de parenté avec lui. Laboureur de son état, Per et sa femme, à force de mettre sous par sous de côté, étaient parvenus à acquérir une machine à battre quelque temps après le premier conflit mondial. D'où le surnom de l'ex-ouvrier agricole.
En plus de la lecture et l'écriture (bilingue) et l'art de couper les cheveux, le bonhomme avait appris, durant quatre années passées au fond des tranchées, l'accordéon.
Per n'aurait jamais osé refuser l'invitation à la veillée. Si bien que celle-ci, commencée sur un air de gwerz, pouvait s'achever à l'aube par un entraînant an dro ou une gavotte. Un conteur ou même plusieurs, avaient aussi dans leur besace quelques histoires… à mourir de rire dans la nuit.
En ce temps là, on savait vivre, même dans les moments les plus tristes. Et je suis heureux d'avoir eu pour grand-père un bon vivant comme Per.
Et aujourd'hui, direz-vous ?
A force d'entendre dire que la télé et les radios faisaient à longueur de temps dans la sinistrose, leurs responsables ont largement ouvert leurs portes aux comiques (à ne pas confondre avec les humoristes). Ils sont désormais légion. Affligeant. La qualité de leurs prestations est loin de dépasser le plus souvent le niveau de la ceinture. On a l'humour et les comiques qu'on peut !
J'ose dire, sans chauvinisme, qu'hier et aujourd'hui, l'humour breton, dans son ensemble, est d'un autre intérêt. Qu'il fasse dans l'autodérision, l'exagération, le décalage, le premier ou le second degré.
La preuve : nos humoristes, tous genres confondus, vieillissent bien. Très bien. On dirait même, l'ambiance générale aidant, qu'ils retrouvent une seconde jeunesse.
Seul avec son violon, ses aventures en dodoche et bien d'autres, Patrick Ewen fait toujours crouler de rire des salles où se côtoient deux ou trois générations. A l'occasion, l'homme à la longue barbe désormais blanche, est accompagné de ses deux compères Melaine Favennec et Gérard Delahaye qui charmèrent le public des années 70 dans les Monts d'Arrée. Et le courant passe toujours aussi bien avec EDF.
Tout le monde, ou presque, connaît Peupé Benoit et Maurice, ainsi que Meumée Marie-Ange, héros groisillons involontaires des histoires désopilantes racontées par Lucien Gourong, leur petit-fils. Quarante ans que ça dure, Lulu. Et ton aventure, commencée avec Gilles Servat dans ton auberge de Merlevenez, poursuivie à Ti Bedef et autres lieux historiques ou non, n'est pas près de s'arrêter. On ne s'en plaindra pas.
Yvon Étienne, homme à tout faire, débonnaire et désopilant de la scène et des studios - conteur, animateur de radio, chanteur -, parfois flanqué de Gégé, fait aussi depuis quelque temps… dans l'art culinaire (à Tébéo). Il mêle encore à l'occasion sa voix à celle des Goristes, dont il est le « I » incontournable.
Les Bretonnants le savent bien : sous des dehors un peu austères, Goulc'han Kervella est un humoriste de grand talent. Sa troupe, Ar Vro Bagan, a un répertoire inspiré par l'histoire contemporaine ou non, d'où l'humour est loin d'être absent. Et des événements toujours d'actualité. « Roue ar Moc'h ou le péril rose » date de 1986 !
Les Bretons ont aussi leurs imitateurs. Les imitations - y compris, au passage, celle d'un Giscard… bretonnant - du Plaintelais Laurent Chandemerle ferait se pâmer d'envie les spécialistes hexagonaux du genre.
Alain Goutal continue d'abreuver de ses crobards qui font toujours mouche, les médias, des ouvrages divers… et même son site. Ils sont plus que jamais au plus près de l'actualité.
Comme ceux de Nono, jeune prof de philo tout juste en retraite, dont les premiers dessins publiés l'ont été en 1972. On ne compte plus les livres qu'il a illustrés, qu'il illustre avec un rare bonheur. Merci l'ami ! Et comme on n'est jamais si bien servi que par soi-même, voici qu'il vient de nous donner « Dessine-moi la philo » (Éditions Dialogues). Texte et dessins de sa main. Désormais, avec ce bouquin, même les nuls comprendront Socrate et Spinoza. Et pourquoi BHL et Finkielkraut ne méritent pas de figurer dans son livre.
C'est encore Nono qui vient de mettre en scène des personnages du second tome des « Bretonismes » d'Hervé Lossec, chez Skol Vreizh. C'est sûr, du goût on va avoir avec ton second ouvrage, Hervé. Et comme la veine est inépuisable, hopopop, tu penses déjà à mettre sur le feu le troisième, gast !
Et voici, pour clore une liste loin d'être exhaustive, Jean Kergrist. Lorsque tu m'avais annoncé ta retraite, la fermeture définitive de ton TNP (Théâtre National Portatif), au terme d'une très longue carrière, je n'en avais pas cru un mot.
Les algues vertes, la nature saccagée, l'eau polluée, les millions de cochons et leurs déjection, l'acharnement des nucléairophiles à nous convertir aux bienfaits de l'atome, un tas d'autres sujets encore, font que le Secrétaire d'étable que tu es devenu se voit obligé d'intervenir à nouveau sur tous les fronts. Salut l'artiste !
Les Bretons ont-ils de l'humour ? Si ce n'était pas le cas, comment des artistes qui le pratiquent avec tant de talent, de conviction et de plaisir - le nôtre et le leur - et sur une aussi longue durée, pourraient être encore sur le devant de la scène ?
Jean-Charles Perazzi
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