La Cour de révision a refusé d'annuler la condamnation de celui qui fut envoyé au bagne pour le meurtre de Pierre Quéméneur. Ce que nous pouvons souligner aujourd'hui, c'est qu'il a été condamné en 1924 malgré les multiples zones d'ombre qui entouraient une enquête et une instruction menées à charge, malgré l'absence de véritables preuves, d'aveux, de cadavre ou même de mobile clairement établi.
L'instruction a été menée dans une seule direction, celle de Guillaume Seznec parce que de toute manière on le soupçonnait d'avoir des activités illicites, comme son ami Pierre Quéméneur. De là à en faire un assassin, il y a une marge. Marge qui s'amenuise quand les enquêteurs ne suivent qu'une seule et unique piste. La culpabilité de Guillaume Seznec arrangeait beaucoup de monde à cette époque. Dans cette affaire, il fallait condamner : la justice a condamné. Comme elle a tendance à le faire encore aujourd'hui quand il lui faut un coupable à n'importe quel prix.
Les acquittés de l'affaire d'Outreau ont eu de la chance, ils auraient pu être condamnés parce que pendant l'instruction de leur affaire, il était de bon ton de trouver des pédophiles à punir pour rassurer le peuple, l'instruction avait été entièrement faite à charge .Ce n'est pas un hasard si certains d'entre eux, marqués à vie par les accusations injustement portés contre eux, accompagnaient Denis Le Her-Seznec sur les marches de la Cour de cassation à Paris en compagnie de Patrick Dils, innocenté lui aussi après avoir été condamné pour un double meurtre.
Les militants bretons, qui ont eu affaire à plusieurs reprises aux cours spécialement composées pour les affaires de terrorisme, savent eux aussi ce que c'est que d'être condamnés sans preuve. Le pouvoir politique peut lutter ainsi contre le terrorisme et faire condamner des militants politiques sans aucune preuve. C'est une des maladies de l'institution judiciaire française : condamner à partir de l'intime conviction de juges ou de policiers.
Tout récemment, le 11 décembre, le tribunal correctionnel anti-terroriste de Paris a condamné deux Irlandais à 4 ans de prison pour association de malfaiteurs dans le cadre d'une entreprise terroriste. Ces deux hommes jugés en Irlande pour ces faits avaient été acquittés pour manque de preuves.
La justice française est toujours prête à condamner, comme il y a 80 ans, sans preuve ni cadavre, sans aveux circonstanciés. La énième loi concernant la justice votée aujourd'hui ni changera pas grand chose. En France, on fait une loi après un problème, une catastrophe ou une bavure : jamais avant, pour les appréhender, les éviter et ainsi élever le niveau de justice. La dernière loi sur la justice (Pascal Clément) est la fille du désastre d'Outreau. La commission d'enquête sur cette affaire avait dénoncé des dysfonctionnements au cours de l'instruction. La loi va y remédier en autorisant l'enregistrement sonore et visuel des gardes à vue, au grand dam de beaucoup de policiers, et des auditions chez le juge d'instruction. Excellente initiative pour les droits de la défense des supposés suspects.
Là où le bât blesse, c'est qu'une nouvelle fois il y a des exceptions. Ainsi dans les affaires dites "de terrorisme " (où commence le terrorisme et qui décerne le label, si ce n'est le pouvoir politique ?), cette nouveauté juridique en France ne s'appliquera pas. De là à penser que dans ces affaires, tous les sévices et brutalités seront autorisés, il n'y a pas loin. Il n'y aura pas de caméra d'enregistrement pour contrôler la régularité de la procédure. Comme quoi la référence à la Déclaration des Droits de l'Homme de 1789 est depuis longtemps devenue un cache-sexe dans le pays auto proclamé des Droits de l'Homme, permettant tout et son contraire. La réalité de la République française et de sa justice viole chez elle depuis bien longtemps l'esprit historique de cette déclaration : le droit ne s'applique pas de la même façon à tous, ce qui n'est pas en accord avec la déclaration Universelle des Droits de l'Homme de 1948. Les textes "nationaux" et internationaux sont là. La moindre des choses serait de les appliquer.
M. Herjean