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Saint-Avé. Simon Alain
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Saint-Avé. Michel Thierry
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- Chronique -
Philosopher en Bretagne

Soulignons ici combien les Etats Généraux de Saint-Avé le 25 avril dernier (véritable « pendant culturel » de ceux de Morlaix le 8 mars 2014) ont été une totale réussite.

Simon Alain pour Université Populaire de Philosophie Bretonne (UPPB) le 30/04/15 8:19

Soulignons ici combien les Etats Généraux de Saint-Avé le 25 avril dernier (véritable « pendant culturel » de ceux de Morlaix le 8 mars 2014) ont été une totale réussite. La conclusion de la journée (en présence d'une dizaine de témoins de la société civile bretonne) a permis de mettre en valeur combien la question de la langue est importante en Bretagne, mais aussi combien celle de la culture l'est tout autant. Et en un sens bien précis.

Rappelons qu'une langue exprime à la fois une perception et une conception du monde (soit « une pensée »). Et que cette pensée exprime un esprit (soit « une manière de ressentir le monde », se traduisant - très concrètement - par un comportement dans ce monde). Où l'on retrouve la philosophie : il y a certes, en Bretagne, une langue bretonne, ainsi qu'une langue française (qu'elle soit « celle du gallo » ou « celle de Paris »), mais il y a aussi, d'abord et avant tout, un esprit breton, c'est-à-dire « une manière d'être au monde » (qui, en un sens, parle plusieurs langues ou se manifeste de différentes manières).

D'où l'idée, en philosophie, que la langue n'est pas que « l'idiome » (ou l'outil), mais la manifestation concrète de l'esprit. En cela, nous nous intéressons en philosophie aux notions de réflexion, de perception, d'identité, d'autonomie..., c'est-à-dire des notions qui caractérisent l'esprit et nécessitent, pour ainsi dire, « un effort de la langue » (soit une certaine inventivité, ou créativité). Remarquons au passage que ces notions philosophiques ont beaucoup perdu de leur signification en contexte français (dans le cadre d'une langue sclérosée ou repliée sur elle-même, souffrant, justement, de ne plus pouvoir "inventer" ou "faire sens"). Et cela, parce que ces notions ont été trop intellectualisées (par le récit, ou mythe, national français), et pas assez vécues (individuellement parlant, c'est-à-dire dans le cadre de réflexions singulières).

Pourquoi dès lors abandonner ce si riche vocabulaire philosophique (qui déborde de sens, lorsqu'il est réfléchi, ou vécu, en Bretagne) à une pensée française (qui l'appauvrit considérablement) ? Pensée française auto-décrétée telle au 19e siècle, et refusant tout apport conceptuel autre que celui provenant d'un travail acharné sur la seule langue française (et ses propres ressources) au point de s'assécher complètement. Ce qui est d'autant plus problématique, comme nous le soulignons depuis 2012, qu'en contexte français, ce n'est pas seulement la langue qui a tendance à s'appauvrir en termes de créativité philosophique, mais également la réflexion philosophique elle-même...

A titre d'exemple, la notion de réflexion est toujours réduite, en contexte philosophique français, au « raisonnement », celle de perception, assimilée aux seules « sensations » (qui ne peuvent être un moyen de connaissance, réservée à la seule « raison »), l'identité est toujours suspectée d'« identification (communautariste) », et l'existence, comme on le sait, qualifiée de « notion obscure » (alors qu'elle est la plus évidente de toutes, puisqu'elle concerne chacun d'entre nous, comme le formule Descartes avec son « je suis, j'existe »).

C'est tout ce vocabulaire philosophique (si potentiellement pauvre en France et riche en Bretagne), que nous tâchons de faire revivre depuis 2012 au moyen d'une relecture systématique des textes de René Descartes (1596-1650), « l'inventeur de la philosophie moderne ». Et cela, parce que cette illustre figure de la philosophie est, depuis le 19e siècle, au c½ur d'un conflit intellectuel majeur entre la Bretagne et la France (nous renvoyons à nos ouvrages publiés depuis 2009).

Rappelons ici que nous ne tâchons pas de définir « une pensée bretonne » ou « celtique » : ce n'est pas notre propos de revenir sur les druides, la civilisation mégalithique ou Pythagore (l'inventeur du terme « philosophe »). Si nous nous intéressons à la dimension « moderne » de Descartes, c'est uniquement parce que se noue autour de lui ce dialogue impossible (et, à dire vrai, inarticulable) entre esprit breton et esprit français. Et cela, dans l'immédiat « après-1532 », époque à laquelle vit Descartes (auprès de son père à Rennes) et qui a bouleversé les représentations, de part et d'autre de « la frontière de la langue » (obligeant, sans doute plus les Bretons que les Français, à la réflexion, c'est-à-dire au « retour sur soi »).

En effet, là où le dialogue est impossible, chacun « réfléchit » pour lui-même et se réapproprie, pour ainsi dire, « sa propre langue » (incompris que l'on se sent parfois de l'autre). Ce qui nécessite une certaine « ouverture d'esprit », et d'abord (même si cela peut paraître étrange) vis-à-vis de soi-même (nous ne sommes pas toujours "réduits" à la vision que l'autre a de nous). Rappelons en ce sens qu'à Saint-Avé, il a été fait allusion au philosophe Wittgenstein (1889-1951) selon lequel « les limites de ma langue sont les limites de mon monde ». Il s'agit bien de cela dans le cas de la Bretagne et de la France, et il se pourrait que la Bretagne se soit toujours, plus que la France, pensée elle-même « au-delà de ses limites ».

Soulignons alors, pour finir ici, combien la France, en réduisant la cause bretonne à du « communautarisme » ou à du « repli sur soi », ne comprend décidément rien à son « ouverture d'esprit ». C'est un point sur lequel nous rejoignons les propos d'Yvon Ollivier, Jean-François Le Bihan ou Nelly Guet : il s'agit, plus que jamais, de « décloisonner les mentalités » de part et d'autre de « la frontière de la langue ». Non pas les « changer », mais apporter de nouveaux éclairages sur celles-ci (et les expériences de vie qu'elles permettent). Car il n'y aura pas d'avenir pour la langue bretonne, la culture bretonne et l'esprit breton sans prise de conscience. Et « la conscience », c'est précisément ce à quoi ½uvre la philosophie depuis Descartes !

Pour Breizh-ImPacte,

Simon Alain.

- A titre d'exemple, nous avons redéfini depuis 2012 (dans le cadre des ateliers de l'UPPB) les notions suivantes chez Descartes : la réflexion est certes « retour sur soi », mais surtout « réappropriation de l'expérience vécue ». La perception est certes « appréhension du monde », mais aussi compréhension du monde. Quant à l'autonomie, il s'agit bien (selon le grec "auto-nomos") « de se donner à soi-même sa propre règle de conduite ». Ce que Descartes appelle "méthode" (et dont il parle admirablement, dès ses "Règles pour la direction de l'esprit", texte non publié de son vivant et écrit à Rennes en Bretagne, vers l'âge de 24 ans).

- Les « témoins » présents à Saint-Avé (événement organisé conjointement par Breizh-ImPacte, Bretagne Réunie et les Bonnets Rouges) : Nelly Guet, Yvon Ollivier, Thierry Merret, Jean-François Le Bihan, Jean-Pierre Le Mat, André Lavanant, Simon Alain, Patrick Mahé, Beneat Eyherabide, Jean-Claude Le Ruyet, Yannig Baron...

- Simon Alain est invité le 7 juin 2015 au Festival Culturel Breton de La Bouèze (Montautour - 35)

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Simon Alain est l'auteur de huit ouvrages publiés aux Editions Yoran Embanner. Il a créé dans le cadre de "Breizh-ImPacte" en 2012 une « Université Populaire de Philosophie Bretonne ».
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