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De l'appareil téléphonique à l'appareil d'État en passant par le bulletin de vote.
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- Chronique -
Guerre d'influence entre le 4e et le 5e pouvoir lors des élections de Trump et de Macron
Les élections récentes de Trump comme président des États-Unis en 2016 et celle de Macron comme président de la France, en 2017, ont montré que la place du quatrième pouvoir, celle de la presse et des journalistes, n’était plus la même dans chacune de ces sociétés à cause de l’apparition d’internet et des médias sociaux
Par Éric Le Ray pour Les éditions libertés numériques le 13/12/17 10:16

Les élections récentes de Trump comme président des États-Unis en 2016 et celle de Macron comme président de la France, en 2017, ont montré que la place du quatrième pouvoir, celle de la presse et des journalistes, n’était plus la même dans chacune de ces sociétés à cause de l’apparition d’internet et des médias sociaux. Ces derniers outils de communication ont permis la naissance d’un cinquième pouvoir des gens ordinaires qui sont devenus leur propre média. Le quatrième pouvoir, aux États-Unis comme en Europe, vit une crise qui ne semble pas être de même nature dans chacune de ces sociétés qui ont développé chacune une tradition démocratique différente l’une de l’autre. Cette différence fondamentale touche au projet universel que chaque pays a développé historiquement.

D’un côté, aux États-Unis la révolution numérique associée à Internet et aux médias sociaux a permis au cinquième pouvoir des gens ordinaires de remplacer le quatrième pouvoir, celui du pouvoir médiatique traditionnel de la presse défini ainsi par Edmund Burke. Ce cinquième pouvoir, celui des simples individus comme l’a défini George Orwell, va être en quelque sorte l’instrument de la victoire de Trump. Cet événement implique que la société américaine est devenue une société post-industrielle avec un processus de démocratisation important qui renforce les modes de fonctionnement des institutions fédérales de l’État américain en augmentant la décentralisation et en donnant encore plus de pouvoir aux citoyens qui deviennent en quelque sorte leur propre média. Le processus n’est bien sûr pas achevé et a vécu et vit encore des périodes de résistances. On n'en est qu’au début. Nous avons identifié trois étapes qui sont l’étape de copiage des anciens médias par les nouveaux. L’étape de complémentarité et de coexistence entre les nouveaux médias et les anciens, ce que nous vivons présentement entre le quatrième et le cinquième pouvoir. La dernière étape enfin, est celle du remplacement. La société américaine est entrée de plain-pied dans la nouvelle civilisation numérique avec une structure étatique de fonctionnement plus hétéro-archique, et des rapports entre les gens plus complémentaires, donc moins hiérarchiques, que celles de la société française. La société américaine est donc plus avancée dans ce processus de remplacement, que la société française.

Aux États-Unis

Aux États-Unis les ressources humaines, l’intelligence, l’innovation, la créativité, l’entreprise individuelle, l’information numérique en réseau et l’économie numérique, tiennent une place centrale dans cette société de l’information. Il y a bien sûr des changements, en fonction des présidents américains et de leurs administrations respectives vers plus ou moins d’interventions de l’État dans la sphère publique. La liberté de la presse associée à la liberté d’expression et de conscience garanties par la Constitution américaine permet une concurrence entre les médias, mais avec la révolution du numérique, une concurrence récente surtout entre le quatrième pouvoir et le cinquième pouvoir. On assiste ainsi à une crise du quatrième pouvoir et du journalisme dans leur légitimité et leur statut non contestés jusqu'à présent. Ces derniers se sont cependant éloignés de plus en plus des citoyens et ils se sont surtout politisés en laissant tomber en grande partie le journalisme d’enquête au profit d’une représentation partisane et d’un relais des agences de presse sans faire le travail de vérification minimum pour avoir une information vérifiable et vérifiée. Les citoyens se tournent alors vers Internet et les médias sociaux. La publicité aussi. Cette crise exprime aussi naturellement un processus de remplacement des anciens médias par les nouveaux, qui passe par la période de copiage présenté plus haut. Les nouveaux médias copient bien les anciens médias, mais il en résulte des conflits pendant cette période de complémentarité et de coexistence entre les anciens médias et les nouveaux médias. La dernière période dite de remplacement nécessite une restructuration naturelle de l’industrie associée à un système technique qui se transforme ou disparaît, pour laisser place à un nouveau système technique. Une innovation de rupture en quelque sorte se met en place qui passe par une destruction créative d’une chose vers autre chose, d’une technologie par une autre, d’une tradition, d’une corporation par une autre, d’un pouvoir par un autre. Ce processus se traduit aussi par des rapports entre les individus et les médias qui sont totalement différents, aux États-Unis comme en France.

Le mode de fonctionnement politique démocratique subit aussi petit à petit un changement sous la pression de ce changement technologique et économique vers autre chose. La pratique du pouvoir change aussi de nature quand un président peut communiquer directement aux citoyens américains grâce aux médias sociaux. Le rôle d’intermédiaire des journalistes et de la presse traditionnelle entre le citoyen, les hommes politiques et la présidence américaine, est remis en cause pour ne pas dire contesté par les citoyens comme par les politiques eux-mêmes qui préfèrent parler directement à leurs électeurs, ce qui n’était pas possible auparavant. Cela a aussi un impact sur le rôle de l’État et leurs représentants. À quoi peut donc bien servir le journalisme et les industries médiatiques traditionnelles (presse, radio, TV, câble) attachées à un fonctionnement industriel, maintenant qu’on n’est plus obligé de passer par eux pour communiquer avec les citoyens ? Ne constate-t-on pas d’une façon générale une crise du pouvoir des médiations habituelles ? N’assiste-t-on pas à une crise du pouvoir des intermédiaires et donc, par prolongement une crise des institutions qui représentent les citoyens aux États-Unis comme en France ?

En France

Au contraire en Europe, et en particulier en France, la crise médiatique a pris une autre forme. La presse numérique est bien sûr apparue aussi comme aux États-Unis et on a même pu observer le début d’une organisation de cette nouvelle presse autour de la création du premier syndicat de la presse en ligne (le SPIIL) d’Europe et même dans le monde. Le processus de remplacement est donc bien enclenché aussi, cependant, malgré ces innovations et ces initiatives pionnières, la place des médias traditionnels reste encore très importante pour différentes raisons.

La société française est encore ancrée dans une société industrielle avec un fonctionnement centralisé, pyramidal, extrêmement hiérarchisé. Une tradition qui remonte à celle du régime monarchiste de Louis XIV et à la Révolution française de 1793, celle des Jacobins et de Robespierre. Ce dernier va développer une conception de la nation française avec un seul territoire, une seule langue et une seule histoire. Un projet violent, utopique et destructeur, mais qui fut la réalité française jusqu'à nos jours où l’on assiste au réveil des identités régionales de souche. Le projet révolutionnaire de 1789 s’inspira de la révolution américaine, grâce à Benjamin Franklin et son ami Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais, par rapport à un modèle plus fédéral où l’on parlait bien volontiers des États-Unis de France en tenant compte des diverses identités régionales françaises. Mais ce n’est pas ce que l’histoire et la seconde vague de révolutionnaires parisiens vont vouloir proposer ou imposer à la jeune nation française, qui va entrer à partir de cette date dans une période d’instabilité constitutionnelle. Les différentes républiques et constitutions vont ainsi se succéder jusqu’à nos jours. Le projet révolutionnaire de 1793 va aussi inspirer le courant communiste, Lénine avait le portrait de Robespierre dans son bureau qui ne le quittait jamais, le courant fasciste avec Mussolini, un ancien journaliste et un ancien syndicaliste, et le régime national socialiste, avec le socialiste Adolphe Hitler. Ces différentes idéologies vont aussi influencer l’islam politique comme on le voit aujourd’hui qui développe aussi un projet anti-occidental et anti-économie de marché fondé sur la liberté de conscience, d’entreprendre et d’expression.

Plusieurs raisons pour cette instabilité politique française

La séparation des pouvoirs n’est pas établie complètement en France malgré le fait qu’elle soit venue d’un concept d’un philosophe français à travers les écrits de Montesquieu.

Cette tradition politique française de centralisation des pouvoirs a donc comme conséquence d’avoir une intervention de l’État plus importante que dans la majorité des États démocratiques dans le monde, fonctionnant le plus souvent sous un régime fédéral comme au Royaume-Uni, en Allemagne ou aux États-Unis.

La conséquence historique de cette situation est bien entendu une intervention de l’État dans son rapport à la presse et aux journalistes par une politique de subvention depuis la Seconde Guerre mondiale qui est très importante associée à une politique d’avantages fiscaux pour les journalistes. Cette intervention ne date pas de la Seconde Guerre mondiale. On sait que le déclin de la presse française remonte surtout au moment de la Première Guerre mondiale. La presse fut censurée avec la complicité des patrons de presse, le plus souvent, aux dépens des lecteurs qui ne savaient pas que la presse était censurée et qu’il y avait cette complicité des pouvoirs politiques avec les pouvoirs médiatiques. Ceux-ci étaient réunis dans un même intérêt : laisser les Français dans l’ignorance de la réalité du front de la guerre 14-18 afin de maintenir la mobilisation pour continuer la guerre et surtout la gagner. L’enlisement de la guerre, malgré cette censure et ces sacrifices, obligea l’Angleterre, le Canada et les États-Unis à entrer en guerre aux côtés de la France comme on le sait. Cette complicité fut regrettable, car la France avait une presse dynamique de masse, leader dans le monde occidental autour du Petit Journal puis du Petit Parisien. Ce dernier pouvait atteindre un tirage de 2,5 millions d’exemplaires dans ses bons jours. Le scandale de la collusion ne permit jamais de retrouver de tels tirages.

Aujourd’hui encore cette politique d’intervention se concrétise par des interventions directes ou indirectes. Elles étaient secrètes jusqu'à il y a quelques années. C’est-à-dire que l’on ne connaissait pas la liste des journaux qui touchaient ces subventions et on ne connaissait pas les sommes versées. On doit ce changement au SPIIL, le nouveau syndicat de la presse en ligne, qui milita et qui milite toujours pour plus de transparence et pour l’égalité de traitement en matière législatif et fiscal entre la presse traditionnelle et la presse numérique.

La conséquence à notre sens de cette intervention de l’État qui se traduit en particulier par cette politique active de subventions est le retard pris dans la restructuration de la presse française qui a eu pour conséquence de freiner le développement d’internet et des médias sociaux en maintenant une presse traditionnelle associée à la civilisation de l’imprimé et au mode de fonctionnement industriel traditionnel de l’économie de l’information en France en opposition à un cinquième pouvoir des gens ordinaires utilisant plutôt une presse numérique, et les médias sociaux, associée, comme nous l’avons expliqué, à un monde moderne et postindustriel.

L’élection de Trump

La conséquence pour l’élection de Trump c’est qu’il va être élu avec le soutien des citoyens utilisant les médias sociaux avec qui il peut dialoguer directement. La presse traditionnelle à plus de 90 % va soutenir Clinton contre Trump ainsi que la plupart des radios et des médias de masse comme la télévision. Mais au-delà de ces deux oppositions traditionnelles, le camp des démocrates, associé aux médias du quatrième pouvoir, le camp des républicains, après des primaires redoutables, ne va pas soutenir immédiatement Trump pour son élection. C’est un homme seul et indépendant de tout parti qui va être élu à la Maison Blanche par le cinquième pouvoir des gens ordinaires ce qui est tout à fait nouveau et révélateur des changements associés à l’évolution de la société américaine vers la civilisation du numérique.

L’élection de Macron

L’élection de Macron en France va au contraire être le fruit de l’influence de l’ancien président François Hollande qui va fonder le mouvement La République en marche (LREM) pour permettre au parti socialiste de rester au pouvoir, mais avec un parti différent. En quelques mois cette initiative va lui échapper, mais va créer une alternative politique crédible aux différents partis politiques traditionnels français en proposant Emmanuel Macron comme candidat. Énarque lui aussi, comme bon nombre d’anciens présidents français depuis l’ère Giscard, le réseau des hauts fonctionnaires et l’appareil d’État se sont mobilisés pour lui. Il va recevoir aussi l’appui massif du Parti socialiste (PS) et des divers courants politiques de gauche (Walwari, UPLD, MPF, Tavini et DVG). Le parti socialiste, à l’encontre du résultat de ses primaires, ne choisit pas Hamon, son candidat naturel issu des primaires à gauche, mais choisit Macron dans les urnes. Après l’échec de François Fillion, qui a remporté les primaires à droite, torpillé par les affaires et les médias massivement contre lui, celui-ci arrive second derrière Macron au premier tour des élections présidentielles. À la grande surprise de ses troupes Fillion appelle à voter Macron et demande donc aux membres de son parti Les Républicains (LR) de voter pour lui. LR est présenté comme un parti politique libéral-conservateur français classé, depuis sa fondation en 2002, à l’initiative de l’UMP, à droite et au centre droit sur l’échiquier politique. Les républicains son issu du changement de nom et de statuts de l’Union pour un mouvement populaire UMP adopté en 2015 et s’inscrit dans la continuité des grands partis présentés comme de droite par les analystes français et qui furent l’UDR, le RPR mieux connus à l’époque de Chirac et l’UMP.

L’État français présent partout grâce à ses subventions

En fait LR s’inscrit dans la tradition politique française étatique et, au même titre que les autres partis politiques français subventionnés par l’État français, développent une politique proche des partis étatistes, dits de gauche, qu’ils soient socialiste, communiste ou centriste avec l’UDI, l’AC et le Modem. L’ensemble du courant centriste va appeler aussi à voter Macron. On explique cette convergence autour d’Emmanuel Macron par cette volonté commune de s’opposer au front national présidé par Marine Le Pen. Mais les choses ne sont pas si simples car le FN ne propose pas des politiques si différentes des autres partis français. La seule différence tangible est la sortie éventuelle de l’Euro et de l’Europe associés à une politique d’immigration plus musclée face au danger de l’islam radical suite aux différents attentats qu’a subis la France en 2015 et 2016. La candidature de Macron va aussi être appuyée massivement par les médias traditionnels aidés en cela par son image de jeune homme politique dynamique. Conflit de générations, projet politique relativiste qui rejoint autant les idées étatistes de gauche comme de droite. Il rassure aussi les syndicats et les milieux culturels et artistiques subventionnés et permet de faire disparaître les anciens partis politiques au profit de nouveaux partis, mais qui reste attaché à l’intervention de l’État. Macron gagne largement les élections. Il est l’homme des appareils, il est l’homme de l’État, mais est-il l’homme du peuple ? Est-il un homme d’État véritable, représentatif des aspirations du peuple français ? Si on compare à l’élection de Trump qui est élu par le peuple américain, Macron est l’homme des médias du quatrième pouvoir qui vont lui permettre de dépasser les clivages politiques et des appareils politiques en lui permettant de toucher tous les milieux. Pour Trump, au contraire, il va voir converger contre lui toutes les oppositions à son élection, y compris celle des syndicats, des milieux culturels et artistiques. On va constater aussi, jusqu'à aujourd’hui, que les appareils d’États institutionnels fédéraux comme la CIA ou le FBI, avec la fausse affaire russe autour de Peter Strzok, constituée d’une administration mise en place par Obama, qu’ils sont largement opposés à Trump et ses réformes.

Quel a été le rôle des médias sociaux dans l’élection de Macron ?

Le cinquième pouvoir des gens ordinaires n’a pas soutenu Macron dans cette élection, les points de vue, en tout cas, étaient plus divers et moins homogènes dans la façon dont on y a représenté et vécu le résultat des élections. Le cinquième pouvoir n’a pas autant d’influence en France, car sa place n’est pas dominante comme aux États-Unis, en conséquence d’une politique de subventions importante et d’une tradition politique où il est difficile de gouverner sans l’État et sans des politiques étatistes. Les médias traditionnels ou ceux construits autour d’Internet sont donc gérés par un État et une législation omniprésente au dépend des libertés individuelles et d’expression. L’influence de l’État sur les médias traditionnels, internet et les médias sociaux est donc incontournable en Europe et en particulier en France. Le conflit entre tradition et modernité est plus important en Europe qui a pris du retard dans ce processus de remplacement des anciens médias par les nouveaux et cela a un impact sur la vie politique des vieilles démocraties européennes et sur les libertés individuelles.

Ce processus de rupture entre le quatrième et le cinquième pouvoir traduit une évolution, mais aussi une résistance, voire une guerre d’influence, entre les sociétés traditionnelles vis-à-vis des sociétés de la modernité. Ce conflit et cette concurrence entre le quatrième et le cinquième pouvoir des gens ordinaires traduisent aussi l’atteinte proche du processus de remplacement des anciens médias par les nouveaux médias, après les étapes de copiage et de complémentarité. Une transition difficile entre des sociétés industrielles vers des sociétés postindustrielles que nous traduisons ici par le passage de la civilisation de l’imprimé vers la civilisation du numérique. Cette civilisation développe un nouvel humanisme numérique contemporain où les libertés individuelles seront renforcées, mais aussi plus difficiles à protéger.

Éric Le Ray, Ph. D.

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