La légende “des cycles” bretonne par Jean Pierre Colignon, journaliste écrivain
On ne sait par quels vers épiques, par quels alexandrins héroïques, le dénommé Victor Hugo aurait pu célébrer la “légende des... cycles” bretonne...
...mais on peut être certain que, s'attachant à célébrer l'histoire du cyclisme, sport roi en Bretagne, il se serait inspiré des exploits de champions dont tout le monde connaît – ou devrait connaître – le nom : Lucien Petit-Breton, Jean-Marie Goasmat, Jean Robic, Louison Bobet, Bernard Hinault... Ces coureurs furent, non seulement des as à l'échelon de la France, mais inscrivirent aussi leur nom au Livre d'or du cyclisme mondial.
La Bretagne est LA terre de ceux qui « en connaissent un rayon »
Pépinière de fameux cyclistes, qui pour la plupart se formèrent en disputant en région d'innombrables courses d'amateurs, dont certaines très réputées (Tour de Bretagne, l'Essor breton, le Ruban granitier breton...), puis des courses régionales de professionnels (Circuit de l'Aulne, Grand Prix de Plouay, Etoile du Léon, Circuit de l'Ouest, Tour de l'Ouest, Tour du Morbihan...), la Bretagne est LA terre de ceux qui «en connaissent un rayon» ! Nous évoquerons ici trois de ces Bretons qui ont eu «pignon sur roues» :
Trois Bretons, trois concurrents sérieux au titre de “Monsieur la Tête et les Jantes” !
Né à Plessé (Loire-Atlantique), Lucien Mazan rejoignit, enfant, son père, qui tentait de faire fortune en Argentine… Ayant gagné une bicyclette à une loterie, il se prit au jeu et s'entraîna avec un tel acharnement et en déployant de tels dons qu'il devint champion d'Argentine, à 19 ans ! Surnommé « le Breton » par les Argentins, il adopte ce sobriquet comme patronyme… car son père n'aime pas trop voir le nom de Mazan associé à un vulgaire sport. Rentré en France, où il veut faire carrière dans le cyclisme, il modifiera son patronyme en « Petit-Breton », car… un nommé Breton pratique lui aussi le deux-roues. Petit-Breton s'imposera d'abord sur piste (demi-fond, américaines, omniums, etc.), puis sur route (Bol d'or, Paris-Tours, Milan - San Remo...). Enfin, il s'attaque à la Grande Boucle : le Tour de France ! 5e à sa première tentative (1905), 4e en 1906, il remporte l'épreuve en 1907 et 1908. Et puis, il se retire des… cadres, la même année, pour cause de mariage : les futurs beaux-parents n'ont donné leur accord qu'à la condition qu'il abandonne le cyclisme. Le régime « sans selle » finira par lui peser, et, sans divorcer, il reprend la compétition quelques années plus tard. Une grave chute l'empêche de remporter le Tour 1913.
...Et puis c'est la guerre, le front. Après avoir échappé cent fois à la mort de façon époustouflante, Petit-Breton meurt en décembre 1917, non d'une balle, d'une grenade ou d'un obus, mais dans un stupide accident de voiture.
Issu d'un milieu fort peu aisé, Jean-Marie Goasmat reste l'une des figures les plus étonnantes du cyclisme. Quasiment un phénomène inexplicable… Réformé au service militaire pour insuffisance physique, ayant une apparence de rachitique (que l'on nous pardonne le terme, mais c'est vraiment celui qui convient), le « farfadet de Pluvigner » – ainsi le surnommait-on, d'après le lieu de sa naissance – fut entraîné presque par force, par des copains, à disputer une course de pardon… que lui, le néophyte, gagna ! Très motivé, alors, par le cyclisme, et par les gains que l'on pouvait en attendre, « Adémaï » (surnom attribué par le fameux journaliste sportif Georges Briquet, par référence au personnage créé au cinéma par Noël–Noël), se mit à écumer toutes les courses régionales, qu'il remportait très souvent. Passé professionnel, il se mit notamment en évidence dans le Tour, déployant une extraordinaire puissance physique, inattendue chez un homme de sa constitution. Les durs travaux de son enfance (agriculture, menuiserie) avaient dû développer chez lui une résistance à toute épreuve. Très bon grimpeur, très honnête rouleur, il rivalisa avec les plus grands champions, mais il était trop piètre descendeur pour fournir un vainqueur du Tour… Jean Robic lui non plus, ne fut pas pris au sérieux, au début de sa carrière, à cause de sa petite taille et de son air malingre… Mais il avait commencé à pédaler comme un enragé dès l'âge de dix ans, pour marcher dans les traces de son père, un honnête coureur régional. Turbulent, vif, teigneux, le « Biquet » (que l'on surnommait aussi le « Roquet ») va entamer à partir de 1939 une fort belle carrière chez les amateurs, que ce soit sur route ou en cyclo-cross. Excellent grimpeur, bon rouleur, il va remporter le premier Tour de France de l'après-guerre, en 1947, dans les rangs de l'équipe de Bretagne. Ce sera le sommet non pas des Alpes, mais de sa carrière ! Robic continuera de courir le Tour jusque dans les années 1960, avec des fortunes diverses : 16e en 1948, 4e en 1949, 12e en 1950, 27e en 1951, 5e en 1952… Avec, malheureusement, beaucoup de chutes et de malchance, ce qui n'améliorera pas son « caractère de cochon, caractère de Breton » (? ! !). Un tempérament qui sera une de ses caractéristiques, avec le casque, qu'il sera quasiment le seul à porter constamment, à cette époque, après avoir chuté lourdement dans le Paris-Roubaix 1946 : fracture du crâne ! D'où l'autre surnom : « Casque de cuir » ! Jean Pierre Colignon, journaliste écrivain
Co-publié dans l'Interceltique, le magazine du festival interceltique de Lorient, été 2008.