Durant une semaine, du 2 novembre au samedi 7 novembre 2009, eurent lieu en Finistère diverses rencontres autour d'un thème commun: « la langue régionale ou territoriale dans la vie sociale ». Car une langue ne vit que si elle est pratiquée au quotidien, sur son lieu de vie, de travail... L'apprendre à l'école, l'afficher dans la vie publique est nécessaire, mais n'assure pas pour autant son maintien et son développement. C'est pourquoi les délégations venues d'Alsace, de Catalogne, d'Euskadi, d'Occitanie, de Guyane, de la Réunion, de la Martinique, accompagnées de Bretons militants engagés dans diverses associations culturelles, ont débattu autour des façons de vivre la langue au quotidien : les échanges ont été fructueux.
Les journées, organisées par Kevre Breizh (1), (président Tangi Louarn), le Conseil culturel de Bretagne, http://www.kuzul.info et les Ententes de pays (2), furent denses, riches et intenses.
Meirion Prys Jones, directeur de l'Office de la langue galloise http://www.byig-wlb.org.uk/English/about/Pages/T%C3%AEmRheoli.aspx et président du « Réseau européen pour la promotion de la diversité linguistique », NPLD http://www.npld.eu/ exposa la planification linguistique au Pays de Galles où, sur trois millions d'habitants, plus de 600.000 parlent la langue. Nuances : si le nombre de gallophones est en augmentation, celui des usagers du gallois au quotidien diminue... Ce qui a décidé le Conseil de la langue galloise, Cymdeithas yr iaith gymraeg http://www.cymdeithas.org à mettre sur pied, en 2004, une stratégie afin de cibler les entreprises, les familles, la jeunesse... avec un consensus de tous les partis politiques siégeant au Parlement de Cardiff ! Un crédit de 16,5 millions d'euros, jugé pourtant insuffisant, fut débloqué...
Les délégations, logées au Centre de Mescoat de Landerneau, visitèrent successivement les locaux d'Arvorig FM (Mescoat), la gare SNCF de Landerneau où Jean-Pierre Thomin, président de la Commission Culture en charge de la politique linguistique du Conseil Régional de Bretagne, se fit un plaisir de nous montrer les panneaux bilingues : une première en Bretagne et même en France !
La visite des locaux de Stumdi (organisme de formation continue en langue bretonne) et les échanges avec la directrice, Claudie Motais, donnèrent lieu à des questions nombreuses : le concept d'un « Stumdi » en Alsace pourrait-il voir le jour ? La réponse des délégués alsaciens fut nuancée : « Chez nous, le passé pèse encore et bride les initiatives... » Il faudra du temps...Et les mentalités sont différentes !
La visite rendue à la troupe Strollad ar Vro Bagan, à Plouguerneau le lendemain, fut un temps fort. D'abord cette “caverne d'Ali Baba” avec ses décors, costumes et objets en tous genres donnaient à ce grand hangar l'aspect d'un monde « hors du monde »... Les échanges avec Goulc'han Kervella, directeur de la troupe – plus de 200 bénévoles et 4 permanents – et avec ses adjoints, furent d'autant plus riches que le débat portant d'abord sur le théâtre vécu en Léon intéressa vivement les Alsaciens : Gérard Gronenberg, président des élus du Haut-Rhin pour la langue et la culture régionale Alsace-Moselle, évoqua le tissu associatif très impliqué dans le théâtre, avec plus de 200 troupes d'amateurs ! Là-bas, le théâtre a une cause psychologique, car selon Gérard, « l'Alsacien est un enfant adoptif (à cause de son histoire) : il dit le contraire de ce qu'il pense... ».
Ici, en Léon, la troupe ne manque pas d'idées pédagogiques et de projets impliqués dans la vie contemporaine : une pièce sur l'exil des Bretons est en préparation. Mais après avoir travaillé sur la religion (Ar Pasion Vraz/La Passion celtique), la collaboration durant la dernière guerre, le naufrage de l'Amoco, les algues vertes, la production intensive en Bretagne, Strollad ar Vro Bagan s'implique également dans les écoles.
La visite de Ti ar Vro Leon de Lesneven permit de faire le point sur la situation du breton dans le pays de Léon, qui a subi peu de brassage de population. La présentation d'un travail autour de la langue parlée au quotidien par les aînés, soutenu par le Conseil général du Finistère, a permis de réaliser un livret accompagné de deux CD, « Brezhoneg evit ar Re gozh ».
Avec d'autres associations bretonnes, un « Observatoire de la langue bretonne », à l'image d'un organisme similaire au Pays Basque, Behatokia : http://www.behatokia.info/ , devrait voir le jour en 2010. Cet observatoire aura pour buts de préserver et valoriser le patrimoine, contribuer à consolider le lien social entre les générations.
La journée passée à Karaez autour du monde de l'éducation, fut consacrée à la projection du film « O seiz posubl » et à la visite du Lise Diwan. Des initiatives locales : Ai 'ta : http://www.aita.org , Taol Lañs : http://www.taol-lans.org , Ar Redadeg : http://www.ar-redadeg.org , l'apprentissage des adultes au Pays Basque, la transmission familiale et la participation des jeunes (DAO= Deskiñ d'an Oadourien : http://www.dao-bzh.org tél. : 08 20 20 23 20) furent l'occasion de monter que des jeunes savent s'impliquer dans la vie sociale pour aider à faire progresser la langue chez les jeunes, tout en essayant de développer les liens avec les aînés, notamment à travers les quêteurs de mémoire, http://queteur.cg29.fr .
Au cours de ces journées mémorables fut évoquée la situation du créole, parlé à 80 % par les Réunionais. La langue eut du mal à devenir « majeure », jusqu'au milieu du XXe siècle : « Il faut fusiller le créole » disaient les autorités rectorales jusqu'en 1950, qui ont voulu opposer le créole au français, « seule langue de culture et de communication » ! Actuellement, plus de 60 % sont favorables à son enseignement et 90 % estiment que le bilinguisme est une richesse inestimable.
Lors du débat qui réunissait à Ti ar Vro Kemper Jean-Pierre Thomin (conseiller régional), Françoise Louarn, représentant Christian Ménard (député UMP) et Jean-Jacques Urvoas (député PS), ce dernier, nous apprit que la France dépensait plus de 62 millions d'euros pour la francophonie et seulement 700.000 euros pour les langues régionales... Il a annoncé qu'il travaillait à l'élaboration d'un texte de loi et a souhaité que celui-ci soit porté par le groupe d'étude des langues de l'Assemblée nationale (3).
Pourtant Françoise Louarn a révélé qu'un texte serait finalisé à la fin du mois par le gouvernement... Apparemment, le manque de concertation entre majorité et opposition sur le sujet est fort regrettable et risque de prolonger l'attente d'un statut pour toutes langues régionales ! D'autant que le diaporama présenté par la délégation martiniquaise (CCEE) (4) sur les événements des trois premiers mois de 2009 faisait ressortir que les revendications du Collectif, même si elles ont été satisfaites, se prolongeront, selon le chef de l'État, par « une consultation en Martinique, en Guadeloupe et en Guyane le 17 janvier 2010 et, le cas échéant, le 24 janvier, qui portera sur l'évolution statutaire de ces territoires, pour la mise en place d'une nouvelle collectivité ». Quant au statut des langues, personne ne sait si aura lieu un large débat avec toutes organisations culturelles concernées par la défense des identités et des langues pourtant reconnues récemment par la Constitution française...
Jakez Gaucher, président de la section « Relations interceltiques et internationales » de l'ICB/SUAV.
Notes
1 – Kevre Breizh, “le breton au quotidien”, la nouvelle coordination des associations culturelles bretonnes.
2 – Voir : Charte linguistique des ententes de Pays (27/06/09), signée par Sked Brest, Ti ar Vro Leon, Ti ar Vro Kemper, Startijenn ar Vro Vigoudenn, Emglev Bro Douarnenez, Emglev Bro An Oriant, Ti Douar Alre.
3 – Association des Régions de France (Commission des langues régionales : http://www.arf.ass.fr .
4 – Conseil de la Culture, de l'Éducation et de l'Environnement http://www.ccee.re/ .
Un Conseil pour chaque territoire :
http://www.cr-guyane.fr pour la Guyane ;
http://www.cr-martinique.fr pour la Martinique ;
http://www.cr-guadeloupe.fr pour la Guadeloupe.
( voir notre article ) et ( voir notre article )