Le Centre d’Études des Langues, Territoires et Identités Culturelles – Bretagne et Langues Minoritaires (CELTIC-BLM) de l’université Rennes 2 affirme sa solidarité avec les critiques scientifiques exprimées publiquement à propos de l’exposition « Celtique ? » du Musée de Bretagne de Rennes par plusieurs de ses enseignants-chercheurs.
L’analyse critique de l’exposition relève du débat scientifique indispensable à l’évaluation des connaissances produites et diffusées. Il ne s’agit en aucun cas, comme l’ont laissé entendre certaines déclarations médiatiques, d’une « polémique » , et encore moins d’une polémique qui serait animée par des convictions « idéologiques » , « identitaires » , ou des réactions « affectives » . Un musée public a une mission pédagogique de diffusion de connaissances. Le commissariat de cette exposition a d’ailleurs pris soin de s’appuyer sur des travaux issus de la recherche universitaire, repris dans la bibliographie de son catalogue. Il est normal et même indispensable que ces connaissances soient vérifiées, discutées et, le cas échéant, réfutées. Il est devenu habituel dans le champ scientifique, depuis que les connaissances sont diffusées sur des supports évolutifs, de modifier ou compléter les publications lorsque des maladresses ou des erreurs sont identifiées.
Notre collègue Ronan Le Coadic, sociologue spécialiste de l’identité bretonne, chercheur au CELTIC-BLM, a publié le 29 juin 2022 une analyse extrêmement détaillée, argumentée, sourcée, de cette exposition. Cette critique a été diffusée dans un média grand public, au même titre que l’est une exposition dans un grand musée public, dans un juste souci d’équilibre des modalités de communication. Suite au peu de réactions concrètes du musée sur les erreurs pointées, qui a néanmoins reconnu des erreurs, il a publié le 11 août, selon les mêmes modalités, une synthèse de son analyse et des modifications profondes qui devraient intervenir dans cette exposition du Musée de Bretagne. Et ceci d’autant que le nom du musée l’oblige davantage encore à une rigueur sur le traitement des connaissances relatives à la Bretagne. Le 19 août, Erwan Chartier, chercheur associé au CELTIC-BLM, retire son texte du projet de catalogue (qui n’était toujours pas paru à cette date). Il se désolidarise de l’exposition, de même qu’Hervé Le Bihan, professeur de langue et littérature bretonnes, membre du CELTIC-BLM (interview dans Ouest-France du 2 septembre).
D’autres critiques, allant dans le même sens en pointant les mêmes types de manquements perçus comme relevant d’un parti pris idéologique, se sont multipliées depuis la première alerte d’Alan Stivell qui a retiré son parrainage à l’exposition (20 mai) et celle de R. le Coadic (29 juin). D’autres chercheurs, d’autres instances, le président du Conseil culturel de Bretagne, des élus et élues de Bretagne, des journalistes, des personnalités de la culture, ont formulé des réserves ou des critiques. Pour notre part, il s’agit de soutenir les critiques scientifiquement étayées. Il y a donc une convergence collective de critiques argumentées. Il ne s’agit pas de prises de position individuelles ou isolées.
Parmi les manquements constatés, on trouve notamment :
• des sources importantes et des données importantes non convergentes avec le propos de l’exposition qui sont ignorées (par exemple les travaux sur les contes et les chants de D. Laurent et D. Giraudon, les répartitions toponymiques et anthroponymiques -cf. travaux d’Erwan Vallerie, des textes anciens comme le cartulaire de Redon ou la version en moyen breton du Dialogue entre Arthur Roi des Bretons et Guynglaff étudiée par H. Le Bihan),
• des mises en relief disproportionnées de certains éléments (par exemple certaines exploitations culturelles farfelues ou certaines instrumentalisations politiques d’extrême-droite d’identités celtiques et/ou bretonnes), alors que d’autres éléments différents ou contradictoires sont minimisés (y compris la question linguistique) ou carrément ignorés (par exemple l’ancrage populaire de pratiques culturelles en breton ou l’engagement dans la résistance en 39-45 de nombreux nationalistes ou autonomistes bretons de gauche),
• des informations et notions présentées de façon confuse (par exemple le groupe des langues celtiques, les diverses acceptions de « celtique » dans les travaux relatifs aux époques préhistorique ou moderne), voire manifestement fausses (exemple majeur : les origines du Barzaz Breiz, pourtant démontrées par D. Laurent, dont la présentation a été modifiée récemment dans l’exposition mais continue à laisser planer un doute sur l’authenticité de la collecte)...
• aucune mention d’enquêtes auprès de la population sur des sentiments d’appartenance, des éléments d’identification, des pratiques culturelles effectives, la réception de productions culturelles et d’affichages d’emblèmes (travaux de R. Le Coadic)...
Le tout est englobé dans une double erreur, transversale et majeure. D’une part, l’impasse faite dans l’exposition (et partiellement réparée dans le catalogue paru plusieurs mois après l’ouverture de l’exposition et peu lu parce qu’onéreux) sur l’exploitation et l’instrumentalisation d’éléments celtiques / gaulois réels ou supposés dans la construction du mythe national français et de stéréotypes externes sur la Bretagne. D’autre part, précisément, le fait que le propos tenu par l’exposition s’inscrit dans un contexte historique et contemporain qui en oriente la réception : celui d’une affirmation identitaire nationale française assortie d’une dévalorisation voire d’une négation d’autres identités culturelles aujourd’hui dites « régionales » , ainsi qu’une politique d’éradication puis de relégation des langues autres que le français (dont le breton et le gallo). Tout ceci conduit facilement à penser, et l’exposition semble alors y inviter aussi, que l’affirmation d’une singularité relative de la Bretagne et des Bretons ne s’appuierait que sur un aspect « celtique » et que ce serait presque entièrement un mythe, construit à des fins surtout « régionalistes » . En creux, l’exposition semble dire que les Bretons seraient en gros « des Français comme les autres » , que ce n’est qu’aux XIXe et XXe que « débute la construction d’une identité régionale distincte de la France » (texte dans l’exposition) —d’ailleurs la langue bretonne viendrait plutôt du gaulois que de l’île de (Grande) Bretagne, toujours d’après le contenu de l’exposition. C’est dans ce contexte que les manquements prennent tout leur sens, général et pas seulement ponctuel, qui, dès lors, relève davantage d’un propos idéologique qui renforce des croyances que d’un propos scientifique qui établit des connaissances. Il en va de même pour les tentatives de disqualification des critiques scientifiques de l’exposition, renvoyées à une prétendue idéologie « bretonniste » ou « celtiste » et à des réactions affectives.
En tant que spécialistes des Langues, Territoires et Identités Culturelles notamment de Bretagne, les chercheur.e.s de l’unité de recherche universitaire CELTIC-BLM confirment les analyses critiques réalisées d’un point de vue scientifique légitime par ceux de l’équipe qui se sont exprimés publiquement sur ce sujet transdisciplinaire qui ne relève ni uniquement ni principalement d’approches historiques. Ils et elles récusent fermement les qualifications de « polémique idéologique et affective » dont ces analyses ont fait l’objet et réaffirment qu’il ne s’agit pas du tout de « censurer une exposition qui déplait » mais d’améliorer une exposition pour qu’elle dise des choses justes.
Cela ne signifie pas que cette exposition n’ait pas aussi des qualités, notamment de scénarisation muséographique et de richesse des objets présentés, tout comme le Musée de Bretagne en général. C’est dans l’espoir d’améliorer la recherche des connaissances, leur validité, leur présentation et leur large diffusion que les critiques scientifiques sont nécessaires et donc constructives.
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