- Chronique -
2015, année de conquête pour le Front National en Bretagne
Il y a une époque, encore toute récente, où la Bretagne s'enorgueillissait de voir le Front National ne réussir que des scores minimes sur son territoire. Alors qu'il faisait régulièrement
Par Erwann Lucas-Salouhi pour Ar C'hannad le 20/03/15 18:10

Il y a une époque, encore toute récente, où la Bretagne s'enorgueillissait de voir le Front National ne réussir que des scores minimes sur son territoire. Alors qu'il faisait régulièrement 12 à 15% au niveau national, parfois 20-25% dans certaines régions, la péninsule ne lui accordait qu'un petit 8% de ses suffrages, le plaçant bien souvent en cinquième position des forces politiques qui comptent sur la région. Cette époque est désormais révolue.

Aujourd'hui, le vote FN s'est banalisé également en Bretagne. Si l'élection présidentielle a mis en lumière la tendance, avec Marine Le Pen arrivant en troisième position grâce à 13,24% des suffrages exprimés, elle s'accélère désormais. De terre de mission, telle que présentée par la direction frontiste, la Bretagne est aujourd'hui terre de conquête, une région où le Front consolide ses bases et se construit une assise électorale.

Cela s'est largement confirmé en 2014. Avec peu de listes aux municipales, le FN a réussi à faire élire ses premiers conseillers municipaux à Saint-Brieuc, Lorient, Vannes, Fougères et Saint-Nazaire, environ un tiers des villes où il était présent. Lors des élections européennes, dans l'ouest également, la liste frontiste a battu des records, avec à la clé une députée européenne bretonne. Cette dernière a certes quitté le FN depuis, en refusant de démissionner pour céder son fauteuil à un cadre du parti. Il n'en reste pas moins que le symbole est là.

Et la tendance se confirme encore pour les élections départementales. Pour la première fois, le Front National sera présent dans quasiment tous les cantons des cinq départements. Même dans nombre de cantons ruraux, le FN a réussi à constituer des binômes avec remplaçants. Quand on connaît la difficulté que ces binômes ont pu constituer pour le Parti Socialiste ou l'UMP, la performance est à souligner pour un parti, pour l'instant, moins structuré sur la région.

En étant présent à peu près partout, le FN se livre à une vraie démonstration de force et prouve par la même occasion qu'il est désormais légitime pour une frange non négligeable de la population bretonne. Et que se présenter sous son étiquette ne fait plus peur, même dans une région où, il y a encore moins de cinq ans, il représentait le rejet de l'autre. Car en plus de profiter de l'abstention, le Front progresse également en terme de suffrages exprimés, preuve qu'il sait désormais convaincre.

S'il est au final peu probable cependant que le parti réussisse à obtenir des conseillers généraux cette année, il a, dans tous les cas, la possibilité, sur quelques cantons, de pousser gauche et droite à une triangulaire inédite en Bretagne et incertaine pour les deux camps. Mais l'essentiel n'est pas là, puisque les départementales permettront avant tout au FN de créer une dynamique électorale en vue des élections régionales, qui devraient lui donner l'opportunité de compter ses premiers conseillers régionaux, fin décembre.

Mais le vote FN en Bretagne présente un paradoxe fort. Car le parti a toujours défendu une ligne ultra-jacobine, qui ne s'est contredite ni avec l'évolution de l'image sous Marine Le Pen ni avec les faits depuis les municipales et les européennes. Le cas de la députée européenne Noëlle Bergeron en est la parfaite illustration, les décisions se prennent au siège du parti à Nanterre et doivent s'imposer à ses membres, même après les élections et peu importe la volonté des électeurs.

De la même manière, les rumeurs sont nombreuses pour prétendre que la grosse dizaine de villes frontistes qui ont basculé lors des municipales sont dans les faits gérées, là encore, depuis Nanterre. Avec une raison toute autre cette fois, compenser le manque d'expérience de ces nouveaux élus pour permettre de donner une image aussi nette que possible de la politique que mènerait le FN une fois aux affaires. Selon Ouest France, les conseillers municipaux frontistes à Saint-Brieuc, tous nouveaux convertis, seraient en train de déchanter face au mode de fonctionnement du parti.

Avérées ou non, ces rumeurs montrent le décalage existant entre la volonté de rejoindre un parti vu comme étant une alternative, désormais crédible, au PS et à l'UMP et la réalité d'une formation politique qui, en dépit de ses efforts pour présenter une image plus nette, reste ce qu'il est dans son mode de fonctionnement, ainsi que dans les idées de bon nombre de ses membres. Une tendance de centralisation qui ne devrait d'ailleurs que se renforcer avec le resserrement du parti autour du duo Marine Le Pen et Florian Philippot.

Alors comment un parti aussi jacobin réussit-il à convaincre des citoyens bretons quand ces derniers s'expriment, de plus en plus largement, en faveur d'une décentralisation accrue, d'une plus grande prise en compte des spécificités régionales et d'un respect de l'identité bretonne, autant de sujets sur lesquelles les positions frontistes sont à l'exact opposé ? Sans même parler du fait que la situation économique bretonne est nettement moins difficile qu'ailleurs en France et que la région n'a jamais été réellement confrontée aux phénomènes migratoires connus dans le Nord Pas de Calais ou en PACA par exemple.

Sans doute plus qu'ailleurs, la réponse est à chercher dans la déception causée par les deux principales formations politiques françaises, l'UMP et le PS. Dans une région où le réseau de petites et moyennes villes joue un rôle important, la remise en cause des services publics essentiels à la vie quotidienne et une politique économique qui, pour l'instant tout du moins, ne favorise pas les plus faibles entraînent le développement d'un sentiment d'abandon et de relégation. Les deux participent également à une profonde remise en cause de la cohérence et de la cohésion du territoire breton.

Ce n'est pas sans raison si les zones les moins touchées par le vote FN sont les nouvelles métropoles, en particulier Rennes et Nantes, alors que certaines communes rurales ou maritimes avaient vu Marine Le Pen arriver en tête au soir du premier tour de la présidentielle de 2012. Lors des municipales, ce sont les villes ouvrières et les plus pauvres que le Front avait visé en premier lieu et c'est précisément là qu'il a pu compter ses premiers élus bretons.

On pourrait considérer que la responsabilité du vote frontiste incombe en premier lieu à l'UMP qui, en tentant désespérément d'en capter au moins une partie, n'a pas hésité à reprendre une partie de sa rhétorique, lui donnant ainsi un vernis de respectabilité. Une tendance que des élus UMP bretons, à commencer par le président du Conseil général du Morbihan, François Goulard, avaient dénoncé. Ce serait oublier la responsabilité socialiste qui, en abandonnant peu à peu les classes populaires pour se concentrer sur la classe moyenne supérieure, a laissé le champ libre à un FN qui n'en demandait pas tant.

En Bretagne, le PS avait largement profité de cette droitisation de l'UMP pour capter une partie de l'électorat centriste, qui ne se reconnaissait plus dans les positions prises par la direction parisienne du grand parti de droite. Désormais, en poursuivant une politique économique similaire à la précédente majorité, reniant son discours et certaines de ses promesses de campagne, et en n'ayant pas tenu compte de la volonté d'une part importante de l'électorat breton lors de la réforme territoriale, le grand parti de gauche s'est à son tour coupé d'une partie des citoyens. Si l'UMP pourrait en profiter, principalement aux régionales, le FN en sortira également renforcé. Gagnant par la même occasion en légitimité dans une région qui ne lui en accordait pour ainsi dire pas.

Editorial publié initialement sur le site www.archannad.eu