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"Nous sommes un peuple"
- Chronique -
Le nationalisme breton a-t-il besoin d'une mise à jour ?
Dans un article récent de l'ABP http://www.agencebretagnepresse.com/id=35784&searchkey=nation%20insuffisante , les lecteurs ont commenté, parfois sévèrement, mon approche de la Bretagne comme "nation insuffisante", parue en postface du livre "Histoire de Bretagne,
Par Jean-Pierre Le Mat pour JPLM le 5/12/14 14:35

Dans un article récent de l'ABP (voir le site) , les lecteurs ont commenté, parfois sévèrement, mon approche de la Bretagne comme "nation insuffisante", parue en postface du livre "Histoire de Bretagne, le point de vue breton" (Editions Yoran Embanner).

Je sais que cette approche est décalée par rapport au nationalisme traditionnel. Ce n'est pas de la provocation inutile. Il me semble vital de remettre en cause un certain nombre de concepts que nous avons hérité de nos prédécesseurs, et de susciter des contributions (pas seulement la mienne) qui permettront de construire un nationalisme breton pour le XXIème siècle.

Pourquoi ? Pourquoi ne pas se contenter de rappeler sans relâche notre bon droit ? Nous finirons bien, ainsi, par obtenir gain de cause ! Eh bien non, je ne le crois pas. Je ne crois pas que nous puissions nous dispenser de repenser le nationalisme breton, pour au moins deux raisons.

La première raison est que la France répond de la même façon à toutes les menaces, réelles ou supposées, contre l'idéal républicain. Un seul mot leur suffit pour se dispenser de réfléchir : "communautariste" hier, "identitaire" aujourd'hui. On met dans le même sac la revendication bretonne, l'islamisme radical, les dérives sectaires et les minorités culturelles. Cette paresse intellectuelle, cette nostalgie des glorieux jacobins d'autrefois, ne doit pas être un exemple pour nous. L'aveuglement ne conduit qu'à l'échec, à plus ou moins long terme. Il nous faut briser le miroir. Assez de "Bretagne une et indivisible" ! Il ne faut pas seulement combattre, il faut surclasser l'inertie et la bêtise jacobine.

La seconde raison est qu'une révolution mondiale est en cours. La mondialisation des échanges, la construction européenne et les nouvelles technologies nous façonnent un environnement qui ne sera pas celui des 5 siècles passés. Cet environnement, c'était celui des états forts, des certitudes arrogantes et des frontières protectrices. Le nationalisme breton du XXème siècle correspondait à cet environnement. Il avait pour seul objectif la création d'un état-nation, censé résoudre tous les problèmes. Mais que voudra dire "état" ? Que voudra dire "souveraineté nationale" en 2032 ? Notre revendication doit être compréhensible lorsque le chaos institutionnel et les technologies de communication auront transformé la façon de vivre des Bretons. Depuis 15 siècles, les héros guerriers, puis la religion, puis l'état ont façonné tour à tour l'environnement de nos ancêtres. D'autres forces apparaissent. Il nous faut projeter la Bretagne dans le futur, avant que ce futur ne nous dévore.

Nous avons un temps d'avance sur la France, parce que nous savons que notre nation est insuffisante. Qu'est-ce que cela veut dire ?

Que les bretonnants sont forcément multilingues ; la langue bretonne ne leur suffit pas pour vivre dans le monde actuel. Les Français, eux, peuvent vivre confortablement en ne parlant que le français.

L'histoire de Bretagne est moins une histoire de pouvoir qu'une histoire de relations. L'histoire de France est une prison. Le système éducatif français du XIXème et du XXème siècles l'a voulue ainsi, pour créer des « citoyens » soumis et bornés. En revanche, quand nous connaissons l'histoire de Bretagne, nous nous ouvrons sur l'histoire de l'Europe de l'ouest.

Nous savons que nous ne pouvons pas vivre repliés sur nous-mêmes. Nous faisons venir d'ailleurs nos ordinateurs, nos vêtements, une partie de notre nourriture. Nous allons chercher dans le monde entier le savoir qui nous est nécessaire pour que la Bretagne continue à exister. Nos entreprises industrielles, artisanales ou agricoles, créent la richesse qui nous permet d'échanger avec d'autres peuples. C'est la raison pour laquelle les Bonnets Rouges veulent, à tout prix, conserver à la Bretagne son économie productive. Une économie productive est l'assurance d'avoir un avenir.

Nous avons un temps d'avance. La machine France, qui est le principal obstacle à notre épanouissement, se croit toujours une nation suffisante. Elle voudrait s'imposer comme la seule communauté dans laquelle nous puissions nous reconnaître. Elle pense que les droits de l'homme qu'elle a promulgués il y a 200 ans sont les seuls valables. Elle ne comprend pas les nouveaux droits, qui s'inscrivent dans les nouvelles constitutions comme celle de la Bolivie (voir le site) . Ce pays se présente comme plurinational et communautaire. Le premier droit garanti aux Boliviens est celui de "l'auto-identification".

Le nationalisme du XXème siècle était polarisé sur la politique et la création d'une institution étatique pour la Bretagne. Il est vrai que le problème des institutions se posera dans le futur comme il s'est posé dans le passé. Mais la question de l'identité nationale, d'un point de vue individuel comme d'un point de vue collectif, déborde le cadre institutionnel. Elle va concerner de plus en plus le secteur économique, la culture au sens large, les solidarités communautaires incontrôlées. Il n'est plus possible de limiter le nationalisme à une mesure politique. L'épanouissement des Bretons et de la Bretagne doit être vu dans un contexte mondialisé et hyper-connecté.

Je comprends que beaucoup d'entre nous veuillent rester les gardiens du temple. Ils sont nécessaires ; je n'ai aucun doute sur l'importance de maintenir la flamme sacrée et la revendication institutionnelle. Mais il faut que certains d'entre nous sortent de la forteresse, pour investir de nouveaux territoires. Que les gardiens tolèrent les francs-tireurs !

Notre combat n'est pas seulement une résistance à l'agression. C'est une guerre de conquête.

Jean Pierre LE MAT

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