Lorsque le bénédictin et historien breton, Dom Morice, fit de Conan Mériadec l'ancêtre de la maison des Rohan, il ne rendit pas service à l’Histoire de la Bretagne. En effet, cela déclencha au 19è siècle un déchaînement de passions et de controverses qui, du reste, ne furent pas inutiles pour consolider, dans cette science hautement conjecturale, les prémices de raisonnements rigoureux et scientifiques.
Jusqu'alors, les historiens tricotaient des listes de rois comme de tranquilles ménagères brodant leurs ouvrages, et de siècles en siècles, l'illustre Conan devint le « Primus inter pares » de nos rois et ducs de Bretagne.
Geoffroy de Monmouth, (1) archevêque de St Asaph (Pays de Galles), d'origine bretonne, parla le premier de Conan Mériadec dans son Histoire britannique. L'ennui avec Geoffroy, c'est qu'il écrivit aussi la vie de Merlin, l'enchanteur, qui donna un formidable essor à la légende arthurienne, mais fit supposer son histoire tout aussi merveilleuse…
Le nom de Conan Mériadec n'a rien d’étonnant dans le monde brittonique, les déclinaisons de Conan sont nombreuses, Quénan, Kenan, Cynan, etc et ne facilitent pas les recherches. Il existe en Bretagne des Croaz Quénan, Hent Conan, bois de Conan, un porz Kénan (2), des saint Connan ou saint Connen, Kergonan près de Guérande, un Conan près de Tours, etc ; mais à qui faut-il attribuer ces toponymes, à saint Ké/Kenan ?, au roi ou aux princes nombreux (3) qui reprirent ce nom prestigieux, tel le duc Conan le Tort. Quant aux Mériadec, Mériasek, Murdock, Murdoc'h, de Meur-tog, grand chef ou Mori-catus, guerrier et marin, on trouve anciennement un évêque de Killala, un duc d'Albany, bien sûr saint Mériadec de Vannes, Mériasek de Cornouailles, et des écrivains tels que Walter Scott ou Leconte de Lisle (4) se sont emparés du nom qui fleuraient bon « âge sombre » et autres Macbeth.
La chronologie de Geoffroy fut reprise au long des siècles par nos historiens bretons, les Le Baud, Bouchart, d'Argentré, Dom Morice, Guillaume Le Jean, jusqu'à venir presque mourir aux pieds d'historiens plus récents, Dom Lobineau (18è) puis La Borderie (19è), tous deux très sévères pour Conan, le premier roi de Bretagne !, trop sans doute.
En effet, la présence d'émigrés bretons en Gaule au 4è siècle (5/11), ne fait guère de doute, des soldats surtout, ayant accompagné Maxime l'usurpateur, qui régna à Trêves quelque temps avant d'être battu à Aquilée (Italie). Après la défaite de leur chef, ses hommes restèrent sur le continent, principalement en Armorique et en Bretagne insulaire. Dans ces conditions, que ces soldats aient eu un chef et pourquoi pas Conan, n'a rien d'inconvenant.
Concernant le lieu d’atterrissage de Maxime, beaucoup et notamment J-C Even (7), ont contesté avec de bons arguments, qu'il ait pu débarquer dans la péninsule bretonne. Cependant rien n’empêche que Maxime ait accosté dans le nord de la Gaule, à Saint-Valery-Sur-Somme, tandis que son allié (Conan ?) ait rejoint la Bretagne. Dans la mémoire populaire, la "Ville rouge", le lieu de leur premier grand combat, désigne une ville gallo-romaine en briques rouges, elles sont nombreuses en France ; Rennes par exemple, dans ce cas les Bretons auraient pu débarquer du côté d'Aleth ou à Cancale, portus Calvosius ?… mais on trouve une autre « Ville rouge », dans le Finistère, le site gallo-romain de Kéradennec près du château de Penmarch (2) et d'une voie antique de Carhaix à Plouguerneau, … et rappelons un toponyme oublié dans ce débat, Ker-zulant, soit Ker-Tolente (carte 1), à 2 km à l'ouest de Kéradennec ! Certes l'existence d'un chef de lètes francs du nom d'Urbaldus/Imbaldus/Leonides dans le Léon est problématique mais on retrouve le préfixe Urba.. (urbem/ville) dans Saint Urbain et son père se serait appelé Jugon (Jugon-les-lacs/Plénée Jugon). En outre la confusion entre les peuples est courante chez les « antiquaires », qui dans le roman d'Aquin confondent Normands et Sarrasins, de même que ces derniers furent accusés à tort de l’enlèvement du corps de st Matthieu à Brest, vers le 9è siècle, car c'était encore l’œuvre des Vikings. Par ailleurs des unités de soldats de toutes origines stationnaient en Bretagne, des Maures Osismis, des Dalmates (Ploudalmezeau/plou-dalmatarum) (8), etc.
Si un chef du nom de Conan mit pied à terre sur le sol breton, il doit bien en rester des traces. Où se trouve le fameux château de Meriadu, « le chastel vaillant et fort domine un port » dont parle Marie de France et la Vita de saint Goueznou ? (9). Et bien l'on trouve un Ker Meriadec< non loin de Tréflaouenan, près d'un affluent du Guillec, au milieu des terres ; las ! ce n'est pas un port (carte 2). L'endroit idéal pour surveiller la mer et prévenir le débarquement des barbares se situe à l’embouchure du Guillec, peut-être au lieu dit Coat an Tour, à deux pas du château de Kérouzere qui fut précédé par une motte féodale … (carte 3). Le château de Bel-air en Brélès est lui aussi réputé être le Castel Meriadu de Conan Mériadec.
Pour mêler davantage encore les voies, apparaît au 6è siècle un saint Mériadec, de la famille de Conan, évêque de Vannes, qui traversa la Manche et fonde une chapelle (oratory) en Cornouailles britannique, au 4è siècle ! De nombreux toponymes attestent de la présence d'un Mériadec, saint, tiern ou roi. Dans le nord de la Bretagne, Saint-Jean-Du-Doigt s'appelait auparavant Traon Mériadec où il n'est plus question de saint. On se demande pourquoi un reliquaire dédié à Mériadec se trouve là. Dans les environs de Vannes on remarque : le village de Mériadec près de Baden, avec un Botconan à 1 km !, une Chapelle St-Mériadec près de Bieuzy-lanvaux, un village de Meriadec près de Plumergat, avec un palais, le Palastre (palatium) et Ar Sal non loin, près de la voie gallo-romaine, et un moulin Conan au sud du village !, l'église et fontaine de saint Meriadec à Stival, aux magnifiques fresques murales. Or l'on sait que les rois et les saints sont des cumulards ! Tantôt roi, tantôt saint ! Meriadec ?, Caradoc, Judicaël, Macliau (évêque), Miliau, Melar, Salomon … et pour compliquer encore l'affaire, certains évoquent un lien entre Mériadec et Caradoc (10) qui gouverna des deux côtés de la Manche, comme Conomor. Curieusement, les toponymes caradec/garadec/caradeuc et meriadec voisinent assez souvent, kercaradec par exemple à l'ouest de Saint Jean-du-Doigt et près de Ker Meriadec.
Histoires, chroniques, vitas, hagiographies, manuscrits, triades et cartulaires, offrent un panorama extraordinaire pour les chercheurs et d'une telle complexité, qu'ils peuvent se rassurer… il n'en viendront jamais à bout ! Entendons-nous, il leur arrivera de trouver ici ou là comme une pépite dans un filon de quartzite mais que faire contre des siècles d'oublis, de destruction, de confusion, de corruption, de mauvaises intentions parfois, en un temps où légende et histoire faisaient bon ménage ? Cette fabuleuse matière recèle une multitude de vérités mais un échafaud d’hypothèses à la fragilité d'une seule. Au 19è siècle, une médaille et un tombeau furent attribués à Conan Mériadec, à tort, et qu'importe que cela soit Conan ou un autre, si de l'écrit ne nous vient pas la lumière, espérons que l'archéologie nous fournira un jour quelques repères sur cette fameuse émigration bretonne du 4è siècle ...
Nous pourrons alors dire, « J’ai vu du roi Murdoc’h la gigantesque image qui montait de la mer», Leconte de Lisle.
Notes
1. "La châtellenie de Monmouth fut octroyée au Breton Guihénoc de Laboussac, de Dol. Ce changement fit de la famille, et ce en dépit de son rang social relativement bas, la doyenne des familles résidant dans le sud-ouest de l'Angleterre vers 1086. Dès 1086, Guihénoc et son frère Baderon étaient moines de Saint-Florent de Saumur, à Monmouth, alors que leurs terres et leur rang de châtelains de Monmouth devenaient la prérogative du fils de Baderon, Guillaume. On ne saurait sous-estimer l'importance de leur châtellenie, dans les Marches Galloises hostiles… elle nous montre toute la confiance que le Conquérant pouvait accorder à ses alliés bretons. Il est donc très probable que ce Geoffroy soit de cette famille. "Le rôle des Bretons dans la politique de la colonisation normande d'Angleterre (c.1042-1135)", Keats-rohan. Geoffroy s'inspira sans doute du « Livre des faits d’Arthur », Fleuriot, p 246
2. Le Scouezec, Guide de la Bretagne mystérieuse, Porz Kénan à Plouguerneau p 529, la Ville Rouge p 613,
3. Répertoire général de bio-bibliographie bretonne. René Kerviler (voir le site)
4. Walter Scott, The Lady of the lake, Leconte de Lisle, poèmes barbares, le massacre de Mona, (voir le site)
5. Louis Pape, la Bretagne romaine, p 257/258, Kynan du « songe de macsens »
6. Fleuriot, marie de France, p246. Castel Meriadec, Marie de France dans son lai de Guigemar fait état de la guerre qui oppose Guigemar, à un seigneur nommé Meriadu dont le chastel vaillant e fort domine un port; c’est précisément la situation du castrum Meriadoci, à l’embouchure du fleuve Guilidona (le Guiliec), paroisse de Plougoulm, dans la Vita de saint Goëznou (cf. A. de La Borderie, « L’Historia britannica avant Geoffroi de Monmouth et la Vie inédite de saint Goëznou », Bulletin de la Société archéologique du Finistère, t. 9 (1882), p. 228), (voir le site)
7. Marikavel : (voir le site)
8. John Morris, The Age of Arthur, p250 (plou dalmate), 256 (Conan), 411 (Grégoire de Tours cite un comte Conan au 6è siècle)
9. Fleuriot, p 246
10. Meurdoch/Caradoc d'après Jean de Tinmouth, moine de st Alban ? John Morris, p 250, 251
11. "Tout ce que l'on peut dire, en guise de conclusion sur Conan Meriadoc, c'est ceci : des chefs bretons, en grand nombre, ont suivi Maxime sur le continent. Il n'est pas invraisemblable que l'un d'eux se soit appelé Conan, mais pourra-t-on jamais le prouver ?" Fleuriot, Les origines de la Bretagne, 1980, p 123
2. Ker Mériadec au sud ouest de Tréflaouénan,
3. Coat an Tour près du Guillec