PARIS, 25 janvier 2005 [ABP] - Hier, au tribunal de Paris, s'est réunie la Commission pour la Révision de l'affaire Seznec sous la présidence de la Juge Anzani et de 5 autres juges.
Pendant plus de 3 heures, l'avocat général Me Jean-Yves Launay a mis sur la sellette la justice de la 3e République. Ce n'était plus Guillaume Seznec qui était l'accusé mais une république corrompue où la justice était manipulée par le ministère de l'intérieur pour couvrir des trafics lucratifs : dans le cas du meurtre de Pierre Quemeneur, la vente des surplus américains, reliques de la première guerre mondiale. Il est évident que ces trafics n'auraient pu avoir eu lieu sans une complicité de l'état, a affirmé l'Avocat Général. On ne peut pas envoyer 100 cadillacs à Moscou, sans que ça se sache.
Des armes et des cadillacs pour les Bolcheviks.
On a parlé d'archéologie judiciaire avec l'affaire Seznec, mais c'est tout le contraire qui émerge : l'affaire Seznec est tout à fait contemporaine dans sa nature. En écoutant l'Avocat Général on ne pouvait pas ne pas penser aux ventes illégales d'armes par la France ou les Etats-Unis. À des scandales américains comme arms for hostages. Des services de la présidence Reagan vendaient des armes illégalement à l'Iran -- malgré l'embargo institué justement par les Américains.
imagex:cadillac4.jpg Dans la même veine on apprend, bien que 80 ans plus tard, que malgré l'embargo sur les ventes d'armes et de matériel aux Bolcheviks russes, la France aurait vendu à la Russie, des armes provenant des surplus américains et peut-être français.
La grande base américaine en Europe en 1917-1918 c'était Brest. C'est par là que débarquaient le jazz, les GIs, les armes et . . . des Cadillacs. La guerre une fois finie, il existait en Bretagne d'immenses dépôts d'armes et de véhicules. Pierre Quemeneur était un de ces revendeurs de base. Comme il était aussi Conseiller Général du Finistère, il se faisait aider à l'occasion par Guillaume Seznec. Ils revendaient les Cadillacs.
Les deux partent dans une de ces Cadillacs pour Paris, le 25 mai 1923, afin de négocier avec Boudjema Gherdi la vente de 100 Cadillacs pour équiper le gouvernement bolchevik à Moscou. La voiture étant tombée en panne, Quemeneur continua seul vers son rendez-vous. C'est ce qu'a toujours affirmé Guillaume Seznec. Il y a de plus en plus de preuves que Pierre Quemeneur est bien arrivé à Paris et en est même revenu. Il aurait été assassiné dans son manoir à Traou-Nez, commune de Plouviro. Des marins se trouvant sur une barge passant sur le Trieux ont même entendu plusieurs coups de feu venant justement du manoir. Il n'a donc pas été tué par Guillaume Seznec. L'avocat Général déclara Je suis totalement, intimement convaincu de l'innocence de Guillaume Seznec..
Surtout que Pierre Quemeneur a été vu par plusieurs témoins en Bretagne le 26-27 mai 1923. Qu'il ait été tué par de simples voleurs (il s'était considérément enrichi et transportait beaucoup de liquide sur lui), ou par des barbouzes car il en savait trop ou avait fait du chantage, n'est pas si important.Il y a probablement eu une dispute sur le prix des voitures et un peu comme dans le trafic de drogues, un "gang" rival en élimine un autre pour accroître sa part du marché verticalement ou horizontalement. Dans l'affaire Seznec, le gang parisien aurait eu en plus, la complicité de la police. En fait Gherdi, que Quemeneur allait rencontrer à Paris était aussi un indicateur de police. Autre théorie: L'équipe bretonne Quemeneur-Seznec aurait été éliminée car Quemeneur se serait permis de faire des manipulations: baisser les prix à l'achat pour après les faire remonter à la vente grâce à une falsification sur l'état véritable des voitures.
L'un a été abattu et l'autre accusé du meurtre. D'une pierre, deux coups.
Des gens haut placés au gouvernement du président Alexandre Millerand avaient tout intérêt à faire la part du feu et à déconnecter cette affaire des trafics en cours et en particulier ceux qui transgressaient l’embargo vers la Russie.
Il fallait empêcher que l'on évoque ce trafic a affirmé l'avocat Général, Il fallait réduire cette affaire à un fait-divers. Trouver et condamner quelqu’un très vite. Guillaume Seznec fut malheureusement ce bouc émissaire circonstanciel.
Un des commissaires travaillant sur l'affaire Seznec embauché plus tard par la Gestapo
imagex:bonny.jpg Preuves à l'appui, l'Avocat Général s'étendit longuement sur le destin révélateur du barbouze Pierre Bonny. Bien qu'adjoint du commissaire Vidal qui gère l'affaire Quemeneur, il est placé au coeur de l'enquête policière où il peut manipuler et fabriquer les faux qui serviront à condamner Seznec. On apprend que Pierre Bonny et le trafiquant et indicateur de police Boudjema Gherdi ont fini leur carrière à la Gestapo.
Le commissaire greffier Pierre Bonny est à l'époque, et il s'en est vanté, un “ chargé de mission spéciale” . C'est un barbouze qui a trempé dans l'affaire Stavisky, l'affaire Prince et a été condamné plusieurs fois. Il fut finalement radié des services de police. Condamné à seulement 3 ans de prisons avec sursis alors qu'une commission avait conclu qu'il avait fabriqué des faux dans l'affaire Stavisky et dans l'affaire Prince. Il rempila dans la gestapo. Son expérience, de toute évidence, fut appréciée par les Allemands. Il a été reconnu sur des photos, avec son ami Boudjema Gherdi, comme le responsable de l'arrestation de plusieurs résistants dont Geneviève De Gaule et Collette Noll. Il traquait les résistants et les juifs et était responsable des liaisons entre le marché noir français et l'armée allemande. Avant de mourir Pierre Bonny déclara : " Je regrette d'avoir envoyé au bagne un innocent. ". Cette petite phrase à elle seule, serait suffisante pour faire rouvrir l'affaire Seznec.
L'incroyable scenario de la machine à écrire:
Une fois que les accusateurs de Seznec et ceux qui sont chargés du dossier ont été décrédités, il devint facile de démontrer la machination. Pierre Bonny a été fusillé en janvier 1945 et l'on ne peut pas ne pas penser que sa disparition arrangeait bien les choses car cet homme en savait bien trop sur beaucoup trop d'affaires sordides et de coups tordus. Une fois que l'avocat général eut révélé les mobiles du complot contre Seznec, il ne restait plus qu'à démonter les faux témoignages, le graphisme falsifié, les contradictions, et de remettre en cause l'incroyable affaire de la machine à écrire, soi-disant achetée au Havre par Seznec pour soi-disant écrire les lettres qui l'envoyèrent au bagne. La machine à écrire, et il a eu des confessions depuis, a été plantée, dans le grenier de la maison Seznec. Aucun témoin n'était évidemment présent au cours de la troisième perquisition au domicile de Guillaume Seznec, où fut soi-disant découverte la machine à écrire que l'on venait d'y déposer par la même occasion!
Denis Seznec et d'autres ont, au fil des années, rassemblé des douzaines de confessions, de rétractations, de révélations, de témoignages ignorés, qui font que, non seulement il y a suffisamment de doutes pour rouvrir cette affaire selon la loi de 1989, mais aussi suffisamment de preuves pour disculper Seznec une fois pour toutes.
Il n'y a pas de justice sans courage
Quand l'avocat Général eut fini son réquisitoire pour la réouverture du procès. Les deux avocats de la famille Seznec n'avaient plus grand chose à dire. En fait tout avait été dit. Il ne restait plus qu'à donner des détails et clarifier des contradictions et quelques points obscurs. La présidente de la Commission était sur la défensive. Devant tant de témoignages et de contradictions, il était devenu impossible de ne pas rouvrir le procès. L'avocat général a eu beau dire que ce n'était pas la justice qui était en cause, il est bien évident qu'elle est prise au piège quoi que la commission décide. Si elle refuse la requête de la Garde des Sceaux, elle se décréditera aux yeux des Français et aussi aux yeux des juristes de bonne foi. Si elle dit oui à la révision, elle sera sans doute accusée par certains d'avoir succombé à la pression des media ou de l'opinion publique. Bien plus délicat: elle se trouvera dans la situation d'expliquer d'abord comment, selon les mots de l'avocat général, on peut en France condamner quelqu'un pour meurtre "sans aveu, sans indice,sans témoins et sans cadavre” selon les mots de Me Launay. Elle devra expliquer ces 80 ans d'obstination et de refus de rouvrir l'affaire. Mais le plus dur sera d'admettre que oui, la justice peut se tromper et que oui elle peut être manipulée par les gouvernements, les ministères et la police malgré tout ce qu'on affirme sur la séparation des pouvoirs.
Philippe Argouarch
Modifié le 9 mai 2018 : Pierre Bonny n'était pas le commissaire principale comme cela avait été écrit par erreur.
(*) Le fils de Charles Bonny a écrit un livre capital pour cette affaire : Mon père, le commissaire Bonny
Sur Bonny voir aussi : (voir le site)
sur l'affaire seznec voir: Nous les Seznec de Denis Seznec, Robert Laffont