Producteur, manager de Gilles Servat, initiateur de L'Héritage des Celtes, administrateur de Coop Breizh et président de Produit en Bretagne, Jakez Bernard symbolise l'alliance de l'économie et de la culture.
La Bretagne avant tout, pour ce personnage connu comme la blanche hermine dans le monde de la musique et de l'audiovisuel. Homme d'action très attaché à l'idée de collectif, jamais blasé, le Quimpérois parle avec enthousiasme et sans langue de bois. Il nous a reçu dans ses bureaux sis dans la capitale cornouaillaise.
Ronan Le Fécher - Je me trompe si je vous présente comme un Quimpérois pur jus ?
Jakez Bernard - Je suis né à Quimper où mes parents originaires de Pluguffan sont venus habiter. J'ai grandi près du Champs de Foire. Toute cette vie, tous ces personnages sur le marché, cela m'a considérablement marqué. J'ai été à l'école à Saint-Corentin puis au Likès.
Saviez-vous alors ce que vous vouliez faire plus tard ?
Mon rêve était de devenir ingénieur du son. Au cours de mon année de seconde, Jean Marzin est venu me chercher pour travailler dans le premier véritable magasin de hi-fi de la région qu'il venait de créer. Il savait que j'étais passionné. Depuis mes 17 ans, je n'ai jamais arrêté de bosser.
Comment se sont passés vos débuts ?
J'ai d'abord vendu de la hi-fi et de la sono professionnelle. J'ai fait de la prise de son dans la musique, pas n'importe laquelle, la musique bretonne. Très rapidement, j'ai aussi travaillé dans le cinéma, avec les Le Garrec, sur le film « Plogoff : des pierres contre des fusils ».
Vous avez enregistré ou produit plus de cent trente albums. A quand remonte le premier ?
C'était en 1975 pour un enregistrement du bagad Kemper avec Hervé Le Meur, créateur de Keltia Musique.
Ce goût pour la musique vous vient-il de loin ?
Mes parents m'ont amené très petit aux fêtes de Cornouaille. J'avais 5 ans lorsque j'ai assisté à mon premier concert lors des 80 jours de folklore à Quimper : Andrea ar Gouilh dans les jardins de l'évêché. Plus jeune, j'ai écouté énormément de musique bretonne et écossaise. J'ai même été batteur dans le bagad de Kerfeunten.
Avez-vous grandi dans une famille militante ?
Mes parents ont toujours eu cette notion d'appartenance et d'identité. Ma mère est de ces dernières générations à porter le costume dans leur jeunesse. J'ai retrouvé une photo d'un de mes oncles avec Polig Monjarret et Youenn Gwernig. Il a fait partie avec eux des premiers sonneurs de la Kevren Glazik à Quimper. En 1949, ce n'était pas trop dans l'air du temps.
C'est étonnant que vous ne parliez pas breton.
Je le comprends, mais ne l'ai jamais parlé. Vous savez, je n'ai jamais assisté à un repas de famille, à la campagne, sans entendre parler breton. Les deux seules personnes à ne pas parler breton sont mes parents. Pour la simple raison qu'ils sont sourds.
Aujourd'hui, comment vous définiriez-vous ?
Citoyen breton.
Citoyen breton ?
Je me sens résolument breton en France tant dans l'action que dans la culture. Dans toutes mes réflexions, passe d'abord par la Bretagne et ensuite la France. Ce n'est jamais dans l'autre sens. J'aimerais bien qu'un jour on puisse raisonner Bretagne région d'Europe.
Quelles sont vos différentes casquettes ?
Je suis producteur exécutif de Label Production ; c'est mon métier. Par ailleurs, je suis administrateur délégué de Coop Breizh et président de Produit en Bretagne depuis le printemps.
Cette élection à Produit en Bretagne en a surpris plus d'un.
Moi le premier ! J'en étais déjà le vice-président depuis trois ans J'ai été sollicité pour succéder à Alain Esnault car j'avais la capacité de faire travailler ensemble des gens qui n'y arrivent pas naturellement. Produit en Bretagne repose sur l'engagement de chacun pour que le collectif marche. C'est très clairement l'une des raisons du succès de l'association. La Bretagne ne gagne que si elle est groupée.
Voyez-vous un fil rouge entre toutes vos expériences ?
A chaque période de ma vie personnelle et professionnelle, j'ai fait avancer l'idée de la Bretagne, là où j'étais. Comme ingénieur du son, j'ai produit de l'identité en enregistrant du kan ha diskan, des chanteurs et des musiciens traditionnels. Toujours dans la culture, j'ai pris en charge la programmation du festival de Cornouaille. À Produit en Bretagne, mon boulot est de faire en sorte que le monde de l'économie se porte bien.
Et alors, qu'est-ce qui vous rend le plus fier dans votre parcours ?
L'Héritage des Celtes. Master Production, la première entreprise de production audiovisuelle que j'ai montée à Quimper en 1988. Je suis très fier de ce que j'ai fait, y compris de mes échecs. Cela veut dire que j'ai fait. Je ne me suis jamais retrouvé en porte-à-faux entre mes idées personnelles et les actions développées sur le plan professionnel.
Que reste-t-il de L'Héritage des Celtes aujourd'hui ?
Une envie très forte des gens que cela recommence. Il faut, pour cela, trouver la bonne formule. J'ai décidé de ne pas me précipiter et de prendre mon temps.
La filière musicale est-elle en crise en Bretagne ?
Elle traverse une crise de création. Dans les temps qui courent, je suis assez content lorsque je vois Servat vendre 27 000 albums. A côté de cela, je me demande où sont les talents. Il n'y a pas les produits qu'il faut, il n'y a pas l'ambition ni l'envie des artistes de se battre.
Vous croyez-vous encore aux grands concerts de musique celtique ?
Je ne suis pas du tout pessimiste. Regardez Riverdance qui a fait le plein à Nantes pendant six jours en décembre. Pourquoi les Bretons n'arrivent-ils pas à faire comme les Irlandais ? Il faut suivre un raisonnement économique.
Finissons cet entretien là où nous l'avons commencé, par Quimper. En quoi la capitale cornouaillaise se différencie-t-elle de Rennes, selon vous ?
A Quimper, on vit davantage la Bretagne au quotidien. La langue est partout présente ; tous les panneaux sont bilingues. Culturellement, on est dedans en permanence. Ce n'est pas le cas à Rennes. C'est Jean-Yves Cozan qui a dit la première que « Rennes est la première station de RER après Paris ».
Redoutez-vous un éloignement entre l'est et ouest de la Bretagne ?
Je ferai tout pour qu'il n'y ait pas deux Bretagne.
Et que dites-vous à ceux qui pensent que le retour de Nantes dans la région Bretagne isolerait Brest ?
Je ne suis pas d'accord avec cette idée. La route sud Quimper-Nantes est un axe naturel. Pour moi, ces histoires de capitales sont des crises d'émancipation.
Propos recueillis par Ronan Le Flécher