Le Brexit est devenu effectif depuis le 31 janvier 2020. Rien ne sera plus comme avant entre l’Europe et le Royaume Uni. En fait, les options sont ouvertes entre le moindre mal et le scénario du pire. Rien ne pousse vraiment à l’optimisme ! Sauf pour les Ecossais qui voient s’ouvrir une fenêtre historique.
Dès le lendemain du vote du Parlement Européen entérinant l’accord de sortie entre l’Union Européenne et le Royaume Uni, le négociateur en chef pour l’Europe, Michel Barnier, déclarait : « nous sommes prêts à proposer un accord commercial très ambitieux (…) mais sans accepter une économie dérégulée à notre porte qui profiterait d’avantages concurrentiels déloyaux ».
Boris Johnson lui répondait aussitôt en excluant « toute concurrence déloyale » ou même une « course vers le bas » sur les normes. Mais « pas question de s’aligner sur les règles communautaires ».
Il faut décrypter la langue de bois des diplomates. Tout d’abord intervenir sur la scène publique et médiatique avant même les premières réunions est parfaitement inhabituel et le signe que les divergences sont graves et profondes. Et nommer aussi clairement les choses est encore plus inhabituel. Car chacune de ces deux phrases ne vaut que par son second terme : « ne pas accepter une économie dérégulée à notre porte qui profiterait d’avantages concurrentiels déloyaux », en opposition à « pas question de s’aligner sur les règles communautaires ».
Bruxelles pense manifestement que Londres veut aller vers une économie dérégulée, le « Singapour sur Tamise », moins de contraintes sociales, moins de contraintes sanitaires et environnementales, etc.., tout en écoulant librement les marchandises et les services ainsi produits à moindre coût sur le grand marché européen.
Et même pire : les dirigeants brexiters du Royaume Uni ont fait miroiter aux yeux des électeurs britanniques de « fantastiques » perspectives d’accords commerciaux hors l’Europe, particulièrement avec les USA. Donald Trump est venu en personne à Londres exalter les bienfaits du Brexit. Outre un retour en force de l’économie américaine sur un marché qui représente près de 15% de l’économie européenne avant-Brexit, il compte sur les lacunes et les mailles trop lâches de l’accord à venir pour faire entrer en Europe, via la Grande Bretagne, des produits américains aujourd’hui interdits ou contingentés par les normes, notamment sociales, sanitaires et environnementales, du marché unique européen.
L’Europe fera tout pour protéger ses acteurs économiques de cette concurrence déloyale promet-on à Bruxelles. Mais le pourra-t-elle vraiment ? Comment empêcher un produit entré librement en Grande Bretagne de passer ensuite en Europe une fois rebaptisé britannique ? Un point crucial sera la « passerelle irlandaise » puisqu’il est acté qu’il n’y aura pas de frontière sur le territoire entre Belfast, zone économique britannique, et Dublin, zone économique européenne. Aussi, pour effectuer des contrôles efficaces, il faudra les positionner en amont de Belfast, au cœur d’une souveraineté britannique qui sera d’autant plus réticente à les accepter si les choses ne tournent pas à son avantage. Bien des frictions sont à prévoir !
En fait il y aura deux perdants dans ce Brexit : l’Europe qui se retrouve affaiblie face aux économies concurrentes, particulièrement l’économie américaine, qui pourra s’appuyer à l’avenir sur le cheval de Troie britannique ; et l’économie britannique à laquelle son puissant voisin européen devra appliquer une rigueur économique sévère pour s’assurer que la « tentation de Londres » ne touche pas demain d’autres capitales européennes parmi les « pays contributeurs » qui financent le budget européen et la politique de cohésion vers les Etats et les Régions pauvres de l’Union.
Surgira aussi la question écossaise qui voudra avancer vers son indépendance avec la revendication de réintégrer l’Union Européenne comme nouvel Etat indépendant. Pour Londres, le premier referendum de 2014 était sans risque, du moins au début de la campagne quand les sondages annonçaient une victoire écrasante du « no ». D’où l’accord donné à sa tenue, puis, dans un moment de panique provoqué par la montée des sondages qui pour la première fois donnait le « yes » vainqueur, un courrier a été cosigné par les trois leaders politiques britanniques, le conservateur David Cameron, le travailliste Gordon Brown, le libéral Nick Clegg. Il annonçait aux Ecossais que s’ils votaient oui à l’indépendance ils seraient jetés en dehors de l’Union Européenne. Six ans plus tard ce courrier se retourne contre les dirigeants politiques qui, en décidant le Brexit, veulent justement entraîner l’Ecosse contre son gré en dehors de l’Union Européenne.
Dans ce match Angleterre-Ecosse, auquel le Pays de Galles pourrait s’inviter à son tour, l’Europe sera appelé en renfort par les Ecossais, et elle n’aura aucune raison de ne pas leur prêter main forte. Encore faudra-t-il que les dirigeants de l’Union Européenne raisonnent en termes collectifs, et non selon le prisme de leur Etat-membre, comme le feront probablement la France pour des raisons historiques jacobines, et l’Espagne vu l’actualité de la crise catalane.
A n’en pas douter, le Parlement Européen sera un poste d’observation privilégié pour observer, et peser, sur les évolutions futures. Ce communiqué est paru sur Le blog de François Alfonsi