Je reviens d’un huitième séjour au Burkina Faso sur une période de 10 ans. Depuis quelques années, des groupes djihadistes et crapuleux -faire la distinction est difficile- répandent la terreur dans les régions. D’abord au nord en allant vers le Mali puis maintenant à l’est et à l’ouest de la capitale Ouagadougou. Le pays est en zone rouge, seule la capitale est en zone orange. Les massacres se suivent provoquant l’exile de deux millions de personnes vers les pays voisins ou vers la capitale. Ce pays est très pauvre, malgré ses mines d’or et ses matières premières exploitées par des compagnies étrangères et il a beaucoup de difficultés à combattre le terrorisme. Le rôle trouble de la France amène ce pays à chercher de nouvelles alliances et à se libérer des liens de dépendance avec l’ancienne puissance coloniale.
Anciennement Haute Volta, le leader panafricain et anticolonialiste Thomas Sankara l’a rebaptisé Burkina-Faso, mariant ainsi les deux langues principales du pays, le moré et le dioula. Se traduisant par « le pays des hommes intègres » son nouveau nom soulignait la volonté de Sankara de combattre la corruption et de servir le peuple en l’émancipant par une politique de non-aligné, dénonçant la Françafrique qui depuis les fausses indépendances de 1960 maintenait les anciennes colonies françaises sous contrôle.
Thomas Sankara gênait car sa popularité et ses succès jetaient de l'ombre sur les pays associés à la Françafrique, d’autant qu’il ne se privait pas, y compris dans des sommets des pays de l’Afrique de l’Ouest, de dénoncer la corruption et la soumission de dirigeants. Cela pouvait donner des idées aux jeunesses des pays de la région. Il existait donc la possibilité de promouvoir un modèle autocentré de développement en toute indépendance.
Thomas Sankara fut assassiné le 15 octobre 1987. Blaise Compaoré son bras droit devint le président d’un régime totalitaire et corrompu de nouveau soumis à la Françafrique. L’implication de l’état français ne fait plus aucun doute. La présence d’une mission française dès le lendemain des meurtres de Sankara et de 12 de ses compagnons a permis d’effacer tous les enregistrements et les preuves des commanditaires du coup d’état. Emmanuel Macron s’était engagé à fournir toutes les archives détenues en France. En fait, elles ont été expurgées de toutes les preuves impliquant l’ancienne puissance coloniale.
Blaise Compaoré gardera le pouvoir jusqu'à sa chute en 2014, à la suite d'une insurrection populaire. Alors qu’il fuyait dans un convoi de Mercedes vers la Côte d’Ivoire, le signalement fut transmis de villages en villages pour l’intercepter.
C’est un hélicoptère de l’armée française qui vint l’extraire. Il vit depuis en Côte d’Ivoire protégé par un régime aligné sur la France. Son frère François Compaoré est toujours réfugié en France, malgré des demandes répétées de la justice burkinabèe pour qu’il soit extradé et jugé car il est responsable de plusieurs assassinats dont celui d’un journaliste qui enquêtait sur ses agissements crapuleux.
Le comportement de l’État français et de ses représentants tant militaires que civiles ont fait remonter à la surface une mémoire collective enfouie qui débute en 1898, première année de la destruction du territoire du Mogho par la Colonne Française Voulet-Chanoine. Dans son livre Ainsi on a assassiné tous les Mossé(1), l’avocat Titinga Frédéric PACERE retrace la politique génocidaire française : « Voulet, à plaisir, aimait tuer et éventrer les femmes enceintes dont il examinait à l’aide de sa canne ou de sa cravache, comme à plaisir, le contenu palpitant des entrailles ».
En 1950, le cinéaste breton René Vautier a filmé les exactions de l’armée française en Afrique de l’Ouest. Son documentaire Afrique 50 est un court extrait qu’il a pu sauver de la destruction. Il fut condamné à un an de prison ferme par le tribunal français de Bobo Dioulasso ville de Haute Volta et à la destruction de toutes ses bobines de films. Il était en effet interdit de filmer dans les colonies.
Les psychiatres s’accordent à dire qu’il faut dix générations soit 250 ans pour qu’une population guérisse d’un génocide. Comme l’écrit Régine Waintrater(2) :« En fait, même si l’héritier n’a pas conscience d’avoir reçu ce passé traumatique, celui-ci s’insinue dans son psychisme de diverses manières. »
En fait, même si l’héritier n’a pas conscience d’avoir reçu ce passé traumatique, celui-ci s’insinue dans son psychisme de diverses manières. -Régine Waintrater sur le génocide.
Elle brule des drapeaux français et reprend les slogans de Thomas Sankara « La Patrie ou la mort, nous vaincrons. » La pensée de Sankara est reprise :
« Si nous ne nous battons pas pour nous libérer, ils se battront pour nous garder esclave à vie [...] L’esclave qui n’est pas capable d’assumer sa révolte ne mérite pas que l’on s’apitoie sur son sort. Cet esclave répondra seul de son malheur s’il se fait des illusions sur la condescendance suspecte d’un maître qui prétend l’affranchir. Seule la lutte libère. » Le peuple Burkinabè aujourd’hui veut choisir ses partenaires. Comme le disait Jean-Marie Djibaou, le leader kanak : « L’indépendance c’est la liberté de choisir ses interdépendances .»
La population espère qu’Ibrahim Traoré ,le nouvel homme fort, s’inspire de la volonté émancipatrice de Sankara. En tout cas, celui-ci donne trente jours à l’armée française pour quitter le Burkina. La jeunesse qui manifeste exige aussi le départ de l’ambassadeur de France. Celui-ci, comme son prédécesseur, a tenu des propos méprisants, paternalistes et donneur de leçons en direction des Burkinabès. Dans le même temps les ambassadeurs japonais, américains et russes apportent du soutien matériel et font des déclarations emplies d’empathie et de solidarité pour un peuple qui souffre des attaques djihadistes.
Trop de médias français au service de l’État s’émeuvent de voir des drapeaux russes être brandis dans les rassemblements de la jeunesse burkinabé. Nous ici en Bretagne nous subissons un bourrage de crâne au sujet des mercenaires Wagner mais la réalité est que des instructeurs de l’armée russe forment les militaires burkinabés. (Quant aux mercenaires la France a eu les siens comme Bob Denard et ses troupes).Le Burkina-Faso réceptionne de l’armement russe, hélicoptères de combat, missiles, logiciels espions, drones mais aussi des aides alimentaires du Japon et des infrastructures routières faites par les USA…
Quant à nous Bretons, ce qu’il se passe en Afrique subsaharienne et particulièrement au Burkina-Faso doit nous interpeler. Il y a tellement de similitudes au regard de l’histoire de nos peuples, des souffrances subies, de la destruction de nos langues, cultures, vie sociale…A l’avenir, pour des relations internationales équitables, travaillons à appliquer le message universel de Thomas Sankara qui résonne toujours pour les peuples sous domination coloniale ou néo-coloniale. Briser nos liens de dépendance, rééquilibrer les relations entre nation. Nous avons aussi cette volonté de liberté et d’émancipation partagée qui fait que des liens d’amitié et de solidarité devraient s’établir.
Ce pays veut être maître chez lui et s’émanciper de son ancien colonisateur. Il n’a pas à demander l’autorisation à qui que ce soit de décider pour lui. Dans cette volonté, abandonner le Franc CFA pour une monnaie panafricaine indépendante de la banque de France s’intègre dans le processus d’émancipation des peuples d’Afrique de l’Ouest.
(1) Mossé pluriel de Mossi. Ainsi on a assassiné tous les Mossé de Titinga Frédéric Pacere Editions Fondation Pacere à Manega Burkina-Faso
(2) La transmission du traumatisme dans les groupes victimes de génocides de Régine Waintrater. Dans la Revue de psychothérapie psychanalytique de groupe 2015/2 (n° 65), pages 27 à 38
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