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Patrimoine breton en péril (6/6) : Les autres patrimoines bretons et l'évolution de la protection globale du patrimoine

Nous achevons ce jour le cycle consacré aux patrimoines bretons en péril par un article qui sera dédié aux autres patrimoines, notamment ancillaires, et qui fera le point sur la

Louis Bouveron pour ABP le 26/02/12 0:01
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L'arche du Châtellier à Campbon : un patrimoine en péril

Nous achevons ce jour le cycle consacré aux patrimoines bretons en péril par un article qui sera dédié aux autres patrimoines, notamment ancillaires, et qui fera le point sur la protection du patrimoine de demain.

Croix et calvaires : un patrimoine trop nombreux pour être efficacement protégé

La Bretagne est connue pour le grand nombre de ses croix et calvaires. C'est pourquoi, si une croix peut servir de repère efficace en Beauce, en Bretagne, indiquer à un touriste une direction « après la 2e croix à droite » est le meilleur moyen de le perdre. Si les calvaires monumentaux et les enclos paroissiaux, souvent classés, sont efficacement protégés, il y a aussi une multitude de croix plantées dans tous les coins des communes bretonnes généralement très étendues. Prenons en une au hasard, mettons Trébeurden dans les Côtes d'Armor. Info Bretagne, qui n'indique que les croix antérieures à la Révolution, en signale quatre (voir le site) , sachant qu'il faut ajouter celles devant les chapelles et totes celles postérieures à 1800 ! C'est ainsi qu'à Vay l'on se retrouve avec 33 croix. La Bretagne en compterait ainsi plusieurs milliers. Des croix qui rappelleraient un événement sanglant (Bruc, Plouharnel…), un mort ou une chapelle disparue, qui se trouveraient devant une chapelle ou une fontaine, ou depuis un temps immémorial dans un hameau ou un village.

Sur le nombre, certaines se perdent. L'on nous signale ( voir l'article ) le calvaire des Rochelles à SAINT-NAZAIRE noyé dans un lotissement et la croix d'Heinleix, privatisée et disparue dans le (cyber-)espace. On peut ajouter aussi les croix dont tout le monde a oublié l'existence, ou dont les propriétaires ne veulent pas la réparation. Ainsi, une croix à Barel SAINT-OMER-DE-BLAIN échappe toujours à l'activité débordante de l'Association pour la Sauvegarde du Patrimoine Audomarois, qui a revu pourtant toutes les autres croix décaties de la commune ou peut s'en faut.

Certaines croix ont de la valeur plus que d'autres pourtant. Ainsi, sur la route de Savenay à Lavau (RD.3) le voyageur trouve une croix datée de 1793 : alors que la France était noyée par le sang que faisaient couler les jacobins, la Bretagne résistait de toutes ses forces. Cette croix à elle seule est si symbolique du pied de nez qu'adressent les Bretons à « leur » Révolution.

Qu'on se rassure cependant : en Bretagne, les croix sont généralement bien protégées. Partout ailleurs, quand on construit une route, on casse tout ou presque. En Bretagne, on transplante les croix et puis on casse le reste. Un exemple parmi d'autres, la croix de Bocquehand en Campbon qui a été plantée dans le champ d'en face lorsque la station de traitement des eaux a été bâtie le long de la RD100, entre le bourg et le bois de Coislin.

Un patrimoine ancillaire parfois encore délaissé

La Bretagne a aussi un solide patrimoine ancillaire, c'est-à-dire paysan. Longères en torchis, en schiste ou en granit, maisons-blocs, fermettes en tous genres, communs, granges etc. Si sur les côtes, les longères diverses et maisons de pêcheurs sont restaurées et entretenues grâce – ou à cause de – la fièvre immobilière, dans l'intérieur des terres, la situation est parfois moins reluisante. En Centre Bretagne, il reste encore des granges, des fermes à racheter et à rénover. Au cœur de la Haute-Bretagne, aussi. Des granges ou logis en schiste tombent en ruine au milieu d'exploitations agricoles modernes qui n'en savent que faire. D'autres se ruinent noyées dans les champs ou en bordure des 2x2 voies qui nous tiennent lieu d'autoroutes.

La longère maintenant. Bien avant le Corbusier, les Bretons avaient inventé l'unité d'habitation. Principe simple : chaque génération ajoute sa pierre, enfin son bloc de maison, une pièce en bas, un grenier avec lucarne, à l'alignement. Deux modèles en Haute-Bretagne : le village alignement (l'étude est disponible en PDF au bas de cet article ( voir l'article ) ) perpétué par le village-rue et le village dont les maisons sont toutes bâties perpendiculairement à une voie (par exemple la Cavelais en Bouvron, Mérimont à Fay). N'en déplaise aux heureux propriétaires d'une longère de 30 ou 60 mètres de long, une longère qui appartient à un seul propriétaire, ce n'est pas normal. Mais l'afflux de néo-Bretons a remédié à cette situation intolérable et les longères sont maintenant à nouveau bigarrées, divisées entre au moins trois familles qui se partagent en bonne intelligence les dépendances diverses. C'est comme ça qu'au Clos Coué, à BLAIN , une longue, longue longère bâtie le long d'une ancienne voie romaine à en croire la tradition orale, est partagée entre dix propriétaires différents.

Dans le patrimoine ancillaire, signalons aussi les fours et les puits, plus ou moins restaurés par les propriétaires et les associations locales. Souvent, ils sont les dernières traces d’anciens villages. Un puits dans un champ rappelle la présence d’un hameau de jadis. Ce patrimoine rural est menacé par les nouvelles techniques de construction : ainsi, le torchis disparaît, alors que les maisons standardisées et même couvertes de tuiles dans le sud de la Bretagne tendent à débretonniser l’habitat de notre pays, à lui ôter une part de son identité. Mieux encore, ces maisons en bois, ou « écologiques » qui prétendent s’intègrer à l’environnement et qui ne font que colporter des élucubrations conformistes d’architectes-concepteurs qui jurent avec leur environnement… non, un cube de bois, d’acier et de verre ne se marie pas avec les belles pierres d’un village du Menez Hom ! Mais le sottisier de « l’architecture contemporaine » n’a pas de fin ni de cesse.

A signaler quand même, pour la joie des explorateurs urbains dont nous parlions déjà dans le 4e volet de ce cycle, le village abandonné de la butte du Tostal, à la VRAIE CROIX (56) ou encore la drôle de ferme au clocher de Tréfeuntec à SAINTE-ANNE-LA-PALUD (29), rêverie post-moderne sortie de l'imagination d'on ne sait quel architecte, oyée dans un contentieux interminable depuis 1996 et colonisée depuis par les korrigans et les raveurs.

Des moulins à restaurer

On trouve essentiellement en Bretagne des moulins-tours, construits après 1830, et des moulins à petit pied comme le Moulin de Drezeux à Guérande. Ces moulins sont souvent restaurés dans les régions côtières, moins souvent à l'intérieur. Le site (voir le site) malheureusement borné aux régions administratives, fait un inventaire relativement complet de l'état de ces moulins.

Dans la seule Loire-Atlantique, il faut signaler, au nombre des moulins nécessitant un nouveau propriétaire et une restauration, le moulin de Redunel à ASSERAC, le moulin de la Déroute (à petit pied) à AVESSAC (voir le site) , les moulins de Galerne et de la Noë Marie à BLAIN, le moulin de Quéhillac à BOUVRON (encore un beau moulin à petit pied) le Moulin du chêne à CONQUEREUIL (voir le site) , le moulin de Quibut à DERVAL, celui des Ecobues à FEGREAC, ceux du Bondereau et de Rialland à GUENROUËT, celui du Perrais en HERIC, ceux de l'Auberdière et de Beauchêne à LA CHAPELLE BASSE-MER, celui du Vivier à LA CHAPELLE-sur-Erdre, le moulin de la Brousse à PLESSÉ, les moulins de la Lande et de la Bosse à PONTCHATEAU, le moulin de la Haie à PRINQUIAU, celui de la Chesnaie à ROUGÉ, le moulin du Bois Janvier à VARADES et une dizaine d'autres qu'on aura omis, ce qui reste relativement peu pour 221 communes, et quatre fois plus de moulins. En Ille-et-Vilaine, la situation est à peu près comparable, tandis qu'en Basse Bretagne, ce sont surtout des moulins à petit pied qui sont en train de se ruiner, quoique la ruée immobilière y met progressivement bon ordre (voir le site) .

Des ponts abandonnés dans la nature

Au moins un patrimoine auquel on ne fait pas assez attention, sauf quand il s'effondre : ces milliers de petits ponts par lesquels les routes et chemins de nos campagnes sautent les milliers de ruisseaux dont regorge notre pays. Et pourtant parfois ces ponts ont une histoire que défont chaque année les socs des charrues. Que cache par exemple l'arche de l'ancien pont du Châtellier en CAMPBON dans le tournant de la route entre le grand et le petit Châtelliers ? Imaginez vous une arche de schistes – les mêmes que ceux de la tour d'Enfer en bas du bourg de Campbon, face à l'ancienne école privée – dans l'exact alignement du Châtellier, peut-être vestige d'un ancien chemin fort ancien qui filait, par cette arche, vers l'est. De ponts plus importants restent parfois les piles en guise de souvenir (La Roche-Bernard, ou encore le pont des Chemins de Fer du Morbihan à Méan – Saint-Nazaire). S'il y a un ponceau près de chez vous, un de ces petits ponts comme la campagne bretonne en regorge, regardez-le de plus près… il a souvent une histoire bien à lui qui ne demande qu'à être connue.

Et pour finir, des friches urbaines inclassables

En 2012, le patrimoine breton est entièrement protégé. Non ! quelques friches urbaines s'acharnent à résister encore et encore aux défenseurs du patrimoine, aux architectes et aux urbanistes, et même aux regards noirs que leur lancent les riverains. Dans le désordre, la rue Saint-Malo à BREST près du bagne (en friche aussi), une rue de maisons des XVIIe et XVIIIe siècles qui a été l'une des seules à résister aux bombardements et qui a été laissée en l'état, c'est-à-dire sans toits. A NANTES l'Hôtel de Turenne sur l'île Feydeau ou encore l'infortuné Hôtel Duchesse Anne des Seiz Breur ( voir l'article ) Pas question de les détruire évidemment, on n'est pas à Orléans ici ( voir l'article ) , donc les municipalités successives se les passent comme des témoins dans une course, mais l'on pourrait espérer que les irréductibles friches rejoignent les rangs.

Protéger le patrimoine breton aujourd'hui et demain

Aujourd'hui, protéger le patrimoine s'apparente tant pour les Monuments Historiques que pour bien des défenseurs du patrimoine à figer, muséifier l'espace autour du lieu ou dans la zone à protéger dans un âge historique défini. C'est ainsi que les riverains d'une Cathédrale ou les habitants d'un centre-ville historique doivent peindre leurs volets d'une certaine couleur, mettre des fenêtres de certaines dimensions et pas d'autres, bref, respecter un paquet d'obligations esthétiques pour rénover une façade ou installer un Vélux®. Mais comment faire avec la multiplication de patrimoines à protéger et le chevauchement croissant des périmètres de protection ? Comment concilier les impératifs divergents de protection des nombreux patrimoines ? Comment adapter les périmètres de protection qu'une simple éolienne plantée sur une colline ( voir l'article ) suffit à rendre désespérément caducs ?

D'après le colloque « Val de Loire patrimoine mondial, identité, protection, valorisation » réuni en Orléans les 7 et 8 décembre 2011 à la fac de droit à l'initiative du Laboratoire Collectivités Territoriales de cette même université, la muséification est à mettre au placard. De toute façon, la « valorisation » marchande croissante du patrimoine va rendre sa protection particulièrement difficile, pour ne pas dire impossible.

Petite explication de texte. La décentralisation et l'environnement ont distordu les textes législatifs, étendu les conflits entre les collectivités territoriales, les usagers et les autorités normalement chargées de mettre en œuvre la protection du patrimoine. Et l'oligarchie des incapables qui nous gouvernent en profite largement : il n'y a qu'en France qu'on utilise le prétexte de l'Environnement (Grenelle) pour casser les dispositifs de protection des patrimoines ! .

L'agit-prop étatique a estimé que l'intercommunalité était une solution, que les départements eux aussi pouvaient rendre collective la charge du patrimoine surtout supportée par les communes. Faux ! Les moyens baissent partout, et plus d'un département a du arbitrer radicalement entre la solidarité et la protection du patrimoine, au détriment de la seconde. De même, il est illusoire de croire qu'une intercommunalité de 12.000 habitants puisse entretenir une cathédrale du XIVe dans la ville-centre, dont les seuls travaux de toiture mangeraient le budget de plusieurs années. Explication imagée de l'intervenant, Patrick Le Louarn, professeur de l'Université de Nantes : « Gribouille a dessiné le territoire, mais s'est retiré trop vite (…) et maintenant il a perdu la boussole ».

L'agit-prop étatique s'est aussi rendue compte que les sous manquaient dans les caisses. Donc il faut « rentabiliser le patrimoine ». A tout prix. On introduit une classification contre-nature, d'un côté le patrimoine rentable (musées nationaux en France, Châteaux de Versailles, Chambord, Chenonceau , citadelles de Vauban), de l'autre le patrimoine pas rentable qu'il s'agit de faire vivre avec les ressources des précédents, ou alors avec les contributions des citoyens… la grande masse des églises donc, des patrimoines naturels, industriels, civils, militaires… à quoi sert-il de définir et de connaître le plus de patrimoines possibles si la législation qui est progressivement substituée à l'existante n'est faite que pour 1% du patrimoine ?

Gribouille. L'intervention du législateur peut être résumée à ceci. Définir de plus en plus de patrimoines à protéger, noyer les acteurs et partenaires (collectivités territoriales comme particuliers) sous une avalanche de textes législatifs et réglementaires maintenant un équilibre précaire, étendre indéfiniment les compétences des uns et des autres, chevaucher les périmètres de protection, et pour quels résultats ? Demain, le but de la protection du patrimoine ne sera plus la préservation du monument, mais l'équilibre des intérêts des uns et des autres : en clair, s'il y a un projet d'éoliennes devant le château de Josselin, il ne sera refusé que parce qu'il enlève une valeur marchande au château, à son taux de fréquentation ou à sa possibilité de vente, et non pas parce que les éoliennes ne s'intègrent absolument pas à l'environnement du château.

Gribouille. Orléans, qui illustre tant l'évolution de la France et sa chute irrésistible, avait déjà une protection du patrimoine chancelante. Un maire qui étale dans les journaux son ignorance de l'évolution récente de l'architecture, et qui juge le patrimoine à l'aune de son ignorance. (voir le site) Une politique patrimoniale qui mise sur l'effet spectacle et la rénovation de façade (voir le site) Des quartiers entiers menacés de « réhabilitation » au bulldozer. Orléans était au bord du gouffre ( voir l'article ) Et s'apprête à faire un grand pas en avant.

En clair, les Bretons n'ont rien à attendre du législateur français, qui s'efforce de casser l'œuvre patiemment construite depuis Prosper Mérimée, pour des motifs qui restent assez obscurs et qui ne peuvent être expliqués par le seul manque de fonds… puisque la France a en général une façon assez dispendieuse d'économiser et de réduire ses dépenses. C'est aux Bretons de prendre conscience de la richesse de leurs patrimoines, et de développer, de la façon la plus locale possible, une protection efficace pour la plupart des éléments du patrimoine, qui peut être assurée par la seule initiative privée. Cela ne doit pas empêcher de construire, à l'échelle de la Bretagne entière, une politique globale de protection et de valorisation des espaces naturels, de nos forêts, du Canal de Nantes à Brest, de nos littoraux, de nos sols, pour que le patrimoine s'inscrive dans la vie de l'ensemble des Bretons.

Des efforts ont été entrepris en ce sens. Nous les saluons, et appelons à leur continuation : il faut, pour garantir le patrimoine breton des errements de plus en plus dangereux du législateur français, une politique indépendante de protection du patrimoine. Une politique qui prenne en compte l'aspiration des Bretons à moins de contrôle et plus d'adaptation des patrimoines à leur vie, mais aussi leur profond attachement au respect de leur environnement. Une politique qui reconnaisse la diversité et la richesse des patrimoines bretons, et l'attachement du patrimoine au cœur de la nation et de l'identité bretonnes. Une politique qui fixe des cadres clairs pour les partenaires, tant administratifs que particuliers, et qui permette à l'ensemble des patrimoines bretons de survivre au XXIe siècle. Une telle politique ne peut être faite que par des Bretons, pour les Bretons, et dans l'intérêt de la Bretagne. L'organisation en Bretagne d'un cadre de protection de la richesse des patrimoines bretons ne peut être qu'une déclaration d'indépendance vis-à-vis des erreurs de la France.

Bientôt sur ABP

Nous allons redémarrer un cycle sur le recensement, l'étude, la connaissance et la restauration des patrimoines bretons. Vous recensez des éléments de patrimoine ? Vous faites des études à leur sujet ? Vous restaurez ou faites connaître un élément de patrimoine, qu'il soit immobilier ou naturel ? Contactez nous ! lbouveron44 [at] gmail.com

Voir aussi :
Cet article a fait l'objet de 3386 lectures.
Étudiant en droit-histoire expatrié en Orléans, passionné par l'histoire et le patrimoine de la Bretagne. S'intéresse aussi à l'économie bretonne et à l'actualité de Loire-Atlantique.
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Vos 1 commentaires
Thierry Le Jeudi 1 mars 2012 17:51
Intéressante cette série d\'article. Il est parfois heureux que des non-bretons nous éclairent l\'histoire de la Bretagne et son patrimoine.
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