Petite réflexion sur le fétichisme de ceux qui n’ont pas compris que patrimoine matériel et immatériel doivent faire l’objet des mêmes égards et de la même attention. Des monuments se consument en France mais cela n’émeut pas la classe politique et les médias.
Je ne suis pas catholique, je ne suis pas un admirateur de Saint-Louis et je ne trouve pas que Notre-Dame de Paris soit la plus belle cathédrale du monde, pourtant je suis triste de ce qui est arrivé. C’est un monument unique. C’est une grande perte patrimoniale, c’est la disparition partielle du symbole d’une ville et de son histoire. Elle est connue dans le monde entier.
Il faudra la reconstruire. Il faudra pour cela du temps et de l’argent, beaucoup de savoir faire aussi. Pourtant nous le savons, celle qui sera reconstruite ne sera pas l’originale, tout comme la précédente n’était que la compilation de constructions et de rénovations successives.
Pourtant, je dois bien avouer avoir été passablement irrité par les commentaires des uns et des autres lors de cette soirée où les télévisions ont fait des éditions spéciales afin de suivre en direct la catastrophe. La suite est une avalanche de nouvelles qui s’auto-alimentent, de médias qui s’écoutent parler. On ressasse jusqu’à l’écoeurement, on crée une sorte de sidération médiatique qui vitrifie le paysage et les esprits dans une compassion conformiste. Et le président de la République est venu en rajouter avec un discours spécifique. L’analyse du lexique qu’il a employé, des phrases utilisées par le personnage, devrait nous interroger. Rien n’était anodin dans ce discours. Mais ce sera pour une autre fois.
Je ne m’étendrai pas sur les diverses couches de poncifs qui semblent sédimenter la pensée de ceux qui doivent (ou veulent) à tout prix remplir du temps d’antenne. Ils sont payés pour ça et ils sont plus victimes que criminels. Ça ne les empêche pas d’être ridicules.
Pour quelques heures, pour quelques jours, Notre Dame de Paris est devenue le centre du monde, de l’histoire du territoire français et le centre de l’histoire du monde. Les messages de ceux qui n’ont rien à dire s’empilaient et défilaient en bandeaux sous les images dès les premières heures du psychodrame télévisuel. Quand même Trump y va de son commentaire ou peut s’attendre à tout. A partir de là tout pourrait arriver, même une brève annonçant la mise en garde-à-vue d’un certain Quasimodo.
On pourrait se dire qu’il est heureux que les télévisions d’information en continu existent, parce que sinon où se déverserait la compassion médiatique ? C’est cette maladie qui fait que chacun doit y aller de son mot, de son communiqué. Mais c’est l’idée même d’info en continu qui crée cette compassion si conformiste. Tout cela confirme bien que la société de la communication se base sur : « moins j’en ai à dire plus je dois le dire fort ! ».
Ce soir là, il y avait dans ce sport des champions toutes catégories. Et on peut en rire parce qu’il ne s’agissait heureusement pas d’un attentat meurtrier où le nombre des victimes s’allongeait au fil des minutes et des heures.
Je rajouterai, même si cela ne va pas dans le sens du vent et dans le sens du conformisme médiatique, que j’ai du mal à comprendre pourquoi le parisianisme se déchaine encore un peu plus grâce à cette affaire. Pourtant le centralisme dans ce pays est déjà assez puissant politiquement, économiquement et médiatiquement. Était-il nécessaire d’en rajouter au point de nous expliquer tout en détail comme si c’était l’église de notre quartier qui venait de s’effondrer. J’ai bien conscience que ce que j’écris n’est pas conforme à l’ambiance créée depuis trois jours, mais peu importe ; je suis certain de ne pas être seul à le penser.
Bref ! Notre Dame est dévastée et c’est une catastrophe. Ceci dit elle ne sera pas la première cathédrale a avoir besoin d’être reconstruite ; d’autres avant elle ont subi ce sort tragique et renaquirent de leurs cendres.
Parce que dans ce monument, ce ne sont pas les pierres qui comptent le plus mais la valeur qu’on leur donne, l’histoire qu’elles racontent, l’histoire qu’elles ont vu se dérouler.
Le patrimoine matériel n’est rien sans le patrimoine immatériel. Un monument, sans les mots qui vont avec, les savoirs qu’il recèle, qu’il a mobilisés, ce monument n’est qu’un tas de pierres.
C’est en cela que les larmes et les déclarations de certaines personnalités étaient insupportables durant cette soirée. Certains d’entre eux laissent chaque jour se consumer des cathédrales et des monuments du patrimoine sans rien dire . Il leur arrive même de souffler sur les braises.
Ils sont victimes d’un fétichisme qui fait qu’ils oublient que le patrimoine immatériel est aussi important que l’autre. Les deux évoluent au fil du temps, s’adaptent, subissent des outrages, des accidents, des violences ; mais on devrait à leur endroit avoir les mêmes égards. Ce n’est pas le cas.
Les cathédrales qui se consument, les châteaux qui brûlent, les trésors qui s’envolent en fumée ne sont pas toujours ceux que l’on peut visiter avec un billet d’entrée et son smartphone à la main. En France ce sont aujourd’hui des réservoirs de savoir et d’intelligence, d’histoire et de littérature, de culture et d’outils prêts à servir pour demain qui se consument sans que Stéphane Bern ne soit appelé pour s’en émouvoir.
Quand j’entends aussi bien Mélenchon, Macron, Hollande, Fillon, Sarkozy et les autres faire part de leur émotion de façon médiatique à propos de la perte patrimoniale que représente l’incendie de Notre-Dame de Paris, je ne peux que regretter leur incapacité à être cohérents. Je ne peux oublier que ce sont les mêmes qui se taisent (ou parfois se réjouissent) lorsque ces monuments de culture que sont nos langues se consument peu à peu faute d’attention et d’égards et en raison d’une politique destructrice de la diversité linguistique. Pourtant ce sont des monuments qui accueillent comme ils peuvent des milliers d’années d’histoire, des millions de pages de littérature et des millions de jours de l’histoire de l’Humanité.
Ils ont un défaut ; ils ne brûlent pas d’un coup sous l’œil des caméras. Ce sont des monument qui s’effondrent, que certains sapent et qui meurent en silence.
Alors bien évidemment, il va falloir reconstruire Notre-Dame de Paris comme il aurait fallu le faire pour tout autre monument de cette importance et de cet âge qui aurait brûlé ; mais il faut aussi de la cohérence. Le patrimoine matériel et immatériel se mêlent.
La langue basque, la langue corse, la langue bretonne, la langue occitane, la langue catalane, les langues amérindiennes, celles de Canaquie, les créoles…etc sont autant de cathédrales qui brûlent.
J’ai entendu à propos de l’incendie de Paris les lamentations de ceux qui quelques jours, semaines, mois, années auparavant nous expliquaient que si nos cathédrales linguistiques s’effondraient c’était la fatalité et parfois même une bonne chose pour le progrès de l’humanité et que de toute façon il fallait laisser faire.
Vous voulez des exemples ? Relisez le discours de Macron sur la francophonie : un monument d’ignorance et de malveillance mais aussi un monument de mépris.(1) Relisez les déclarations de Mélenchon en 2008 lorsqu’il disait que les écoles qui enseignent en breton sont « une secte ». Il expliquait que la France était un modèle dans le domaine de la protection des langues : «Pour ma part, je n’accepte pas la caricature qui voudrait faire croire que la République française réprime ou méprise les langues régionales. Ce n’est pas vrai ! La France s’est dotée dès les années cinquante d’un cadre législatif très favorable aux langues régionales ; elle était même en avance sur beaucoup de pays d’Europe à cet égard »(2) Relisez Fillon qui disait toute sa tristesse face à l’incendie de Notre Dame. La phrase qu’il écrivait il y a vingt ans sur le débat concernant les langues dites régionales est extraordinaire ; appliquez la au patrimoine matériel comme Notre-Dame et vous serez atterrés. Je vous la cite : «Tout ceci est à l’image d’une société obsédée par la nostalgie du passé et, à tort, confortée dans ses frilosités Alors que nous nous apprêtons à entrer dans un nouveau siècle complexe, marqué par des enjeux différents, l’élite politique, intellectuelle et médiatique choisit précisément de dépenser son énergie sur le sort d’un patrimoine certes estimable, mais qui ne mérite nullement de figurer au rang des enjeux culturels du futur ».(3)
Tous ceux qui n’ont rien fait pour le patrimoine immatériel et qui avaient les moyens politiques de le faire se sont exprimés sur l’incendie de Notre-Dame, de droite ou de gauche. Cela fait des années que les uns et les autres promettent et parlent de la diversité culturelle sans rien faire. En tous cas s’ils font c’est toujours pour ce qui est lointain et ce qui leur parait exotique. De l’humanisme à usage externe mais jamais rien sur ce qu’il ont sous leur nez. Ils devraient pourtant savoir que les pierres n’ont de valeur que par l’histoire qui les a taillées, dessinées, les femmes et les hommes qui les ont nommées, désignées, illustrées.
Donc Notre-Dame de Paris, même entièrement détruite aurait continué à vivre sous la plume de Victor Hugo, Quasimodo et Esmeralda continueraient d’habiter les esprits des amateurs de littérature et donc de faire vivre l’édifice, avec tous ceux qui ont écrit sur lui. Mais quand des pans entiers de notre imaginaire, du patrimoine de l’humanité auront disparu parce que des responsables politiques n’ont pas compris que la diversité des langues et des cultures est un des fondements de la démocratie, on pourra toujours appeler les pompiers ; il y a longtemps que le toit de l’édifice se sera effondré.
Ajoutons que cet imaginaire qu’on laisse disparaître ou que l’on détruit avec une politique pensée et organisée, nous manquera sans aucun doute dans les années qui viennent, lorsque nous chercherons des solutions politiques, économiques, écologiques aux problèmes qui nous attendent. Sans boite à outils nous aurons bien du mal à rénover quoi que ce soit.
David Grosclaude
(1)discours prononcé le 20 mars 2018
(2)intervention de Jean Luc Mélenchon au Sénat le 13 mai 2008.
(3)tribune publiée par Libération en mai 1999, le député de la Sarthe ,François Fillon
Ce communiqué est paru sur le blog David Grosclaude